Chapitre 1

96 20 33
                                    

Tout commença quand le groupe de voyageurs montés sur des chevaux fringants pénétra dans la forêt de Boisvif, à la frontière orientale du royaume de Nelestran.

L'après-midi était mourante. Le soleil commençait à flirter avec la ligne d'horizon, jouant à cache-cache avec les collines que les cavaliers venaient de quitter. L'entrée dans la forêt les plongea d'un coup dans le crépuscule. Les feuilles jaunies des arbres bruissaient autour d'eux, annonçant la fin de l'automne. Le chemin, bien entretenu, était recouvert par la parure des arbres qui se préparaient à l'hiver, et les feuilles craquaient doucement sous le pas des chevaux.

Autour d'eux, entre les branches, des oiseaux lançaient leurs trilles discrets, saluant la fin du jour, ou attirant des femelles rebelles. A part cela, ils progressaient en silence.

Il n'y eut aucun signe avant-coureur.

La première flèche traversa le cou de l'un des hommes en tête du cortège, qui s'effondra au sol. Son cheval affolé fit un écart et percuta un second cavalier qui jura en tentant de retenir sa propre monture.

Un troisième cheval hennit.

Le bruit couvrit la deuxième flèche qui emporta un autre homme à l'arrière du convoi, avant que l'un d'eux ne réagisse enfin. Son hurlement couvrit le sifflement des flèches et les hennissements affolés des chevaux.

— On nous attaque !

— Ils sont à droite ! A couvert, à couvert !

Comme pour démentir ses paroles, une nouvelle volée de flèches jaillit de la gauche. Aussitôt, trois hommes de plus furent touchés, mais deux parvinrent à rester en selle. Plusieurs autres s'étaient immédiatement rassemblés autour de l'un d'entre eux et lui faisaient bouclier de leur corps, armes au clair. Malheureusement, cela avait aussi pour effet de faire de lui une cible facile.

Il était jeune, mais sa stature et sa musculature le faisaient paraître plus âgé. Sur son front dansaient quelques mèches noires échappées de son casque, le reste de ses cheveux étaient noués en arrière, en catogan. Lui n'avait pas tiré son épée. Il jaugeait la situation avec un détachement grave.

— Il ne faut pas rester ici, hurla-t-il pour couvrir les bruits de la bataille environnants. En arrière, tous !

Les hommes répondirent à son appel et commencèrent à faire mouvement, à reculons, sans cesser de scruter la forêt et les volées de flèches qui en jaillissaient ponctuellement. Un autre homme tomba et ne se releva pas.

Dans un craquement de fin du monde, un arbre s'abattit sur le sentier derrière eux, faisant se cabrer les chevaux.

Le jeune homme qui dirigeait la troupe poussa un nouveau juron et éperonna sa monture pour tenter de prendre la fuite de l'autre côté. Ses hommes lui emboîtèrent le pas. Mais presque aussitôt un deuxième arbre vint leur couper la route, leur coupant toute retraite.

Le jeune homme tira sur ses rênes, regarda autour de lui. Il était, en apparence tout du moins, parfaitement calme. Son regard clair évalua la situation. Autour de lui, ses hommes resserraient les rangs, incertains.

— A terre, cria-t-il en joignant le geste à la parole. Nous allons les débusquer. Nous sommes des cibles trop faciles ici.

Les soldats le suivirent, l'arme au clair. Bientôt toute la troupe, soit une vingtaine de personnes, avait disparu sous le couvert. Le dernier d'entre eux, un très jeune homme, à peine sorti de l'adolescence, jeta un dernier regard apeuré vers les chevaux désormais immobiles au milieu du sentier, avant de s'engouffrer dans la forêt à la suite de ses compagnons.

Le calme retomba.

Aucun des hommes ne ressortit de la forêt.

Plus tard un homme, seul, vêtu de cuir brun et d'une pèlerine grise, s'aventura hors du couvert des arbres, un arc court à la main.

Il jeta un regard circulaire, s'assura que rien ne bougeait, puis se dirigea vers les chevaux qui le regardèrent approcher, indifférents. En l'absence de leurs maîtres, ils s'étaient éparpillés et avaient commencé à brouter l'herbe des bas-côtés.

L'homme sélectionna l'un d'entre eux et se faufila parmi ses congénères pour l'attraper. L'animal renâcla un peu devant cet inconnu, qui eut tôt fait de le calmer avec quelques caresses.

— Tout doux, murmura-t-il en flattant son encolure. Tu as de la chance, mon grand : tu rentres à la maison.

Et ainsi, tout commença vraiment quelques jours plus tard quand un cheval, seul, sans cavalier, arriva aux portes du château de Roc-Argent, la capitale du Nelestran. Sur sa selle, gravé dans le cuir, le blason de Loenn, prince héritier du trône de Nelestran, était recouvert de sang.

Un jeu de rois et de pions 1 - Nous qui sommes des ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant