Chapitre 6

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Le noir.

Le noir.

Encore le noir.

Tellement de jours et d'années étaient passées depuis que le prisonnier avait vu la lumière du jour pour la dernière fois qu'il en avait oublié la couleur.

Il avait oublié le son du vent.

La sensation de l'eau.

L'odeur de la neige.

La couleur du ciel.

Il était hors du monde.

Entre quatre murs noirs et si, si familiers, eux.

Isolé.

Enfermé.

Captif.

Seul depuis tant d'heures, tant de jours, tant de mois qu'il avait arrêté de les compter il y a longtemps déjà.

Peut-être n'avait-il même jamais essayé.

Recroquevillé sur lui-même, en position fœtale, il tentait comme chaque jour de conserver en lui le peu de chaleur que lui fournissait son corps épuisé. Brisé.

La douleur dans son dos avait fini par guérir. Il ne sentait plus les coups. Il ne sentait plus les plaies. Il ne sentait plus les souffrances et les profanations que son corps avait subies. Mais il n'avait pas oublié. Il n'avait rien oublié.

Il ne pouvait pas oublier.

Il avait tout accepté.

Il ne s'était jamais débattu.

Il n'avait jamais crié. Même quand ils lui avaient brûlé la plante des pieds au fer rouge. Même quand ils l'avaient suspendu à une poutre en lui clouant les mains. Juste pour jouer. Pour rire. Pour se venger, aussi, peut-être.

Il n'avait rien dit quand ils l'avaient roué de coups. Tous les jours. Il n'avait pas hurlé quand ses os s'étaient brisés sous leurs assauts rageurs. Il n'avait pas émis un son quand ils avaient approché cette lame chauffée à blanc de son dos, en ricanant tout autour de lui. Il se souvenait de la pression des mains de ceux qui lui tenaient les bras et l'immobilisaient. Il avait encore de la force, à cette époque, mais il n'avait pas lutté. Il se souvenait de la lueur rougeoyante, avide, brûlante, il se souvenait de cette souffrance qui avait déchiré ses chairs.

Il n'avait pleuré qu'une fois seul.

Il n'avait rien dit en voyant son sang couler hors de son corps et de ses lèvres, de son nez et de ses mains.

Ils n'avaient pas obtenu un mot de lui.

Alors, ils avaient fini par se lasser.

Ils l'avaient oublié.

Depuis, ses plaies avaient guéri.

Depuis, il ne connaissait que le noir et la solitude.

Depuis, il était seul avec ses pensées. Avec ses souvenirs.

Avec les blessures gravées dans son âme qui, elles, ne guériraient jamais.

Un jeu de rois et de pions 1 - Nous qui sommes des ombresDonde viven las historias. Descúbrelo ahora