Chapitre 25

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Plus tard, alors qu'Isine dansait d'un pied sur l'autre devant la porte des appartements de la reine, elle se demandait encore comment Cléa avait réussi à la convaincre si facilement. Tous ses arguments lui paraissaient creux, maintenant qu'elle était là. Elle n'allait quand même pas aller en personne annoncer à la reine qu'elle doutait de sa missi....

La porte s'ouvrit et le gardien du trésor, un petit homme rabougri à grosses lunettes qui lui faisait irrésistiblement penser à un insecte, s'extirpa de la pièce.

— Elle vous attend, l'informa-t-il avant de s'éloigner à pas menus.

Isine regarda la porte close avec un frisson.

Sa Majesté l'attendait.

Bien.

Bien bien bien.

Impossible de faire marche arrière.

Rassemblant son courage, elle franchit le pas qui la séparait du battant et frappa.

La reine écouta son histoire — enfin, une version édulcorée de son histoire — avec attention, la tête penchée sur le côté.

Elle était vêtue d'une lourde robe ivoire brodée d'or qui s'étalait autour d'elle comme les pétales d'une fleur alors qu'elle restait immobile, les deux mains élégamment croisées sur ses genoux. Même ainsi, assise dans un fauteuil, elle dégageait quelque chose de royal qui avait tendance à écraser ses interlocuteurs. Face à elle, Isine se sentait insignifiante, grossière et maladroite.

Pourtant, quand elle eut terminé, la reine lui sourit.

— J'apprécie l'effort que tu fais de m'informer de ces éléments, Isine.

Cette dernière resta coite, attendant la suite tout en essayant de ne pas se tordre les mains de nervosité.

— Je comprends que tu puisses ressentir cela et pour tout dire, je n'en suis pas surprise, poursuivit la souveraine. Peut-être aurais-je dû t'avertir que les histoires sur les gens tels que lui — ou moi — correspondent rarement à la réalité.

— Certainement, Votre Majesté.

— Concernant ce que tu racontes sur lui... (la reine eut un léger soupir), je t'avoue que cela ne m'étonne qu'à moitié. J'ai eu l'occasion de me mesurer au général Dzangher sur les champs de bataille, à la fin de la guerre, et il ne m'avait pas fait l'impression d'être le monstre qu'on décrit.

— Mais alors, lâcha Isine avant de pouvoir se retenir, pourquoi l'avoir fait enfermer ? Et tort...

Elle referma la bouche, juste à temps.

— Torturer ? compléta la reine. Tu peux le dire, j'ai conscience de ce qui se passe dans mes prisons. Quant au pourquoi... (elle baissa les yeux sur la jeune femme). Tu veux vraiment le savoir ?

— S'il vous plaît, souffla Isine.

L'expression de la souveraine se fit lointaine.

— D'abord, il y a les informations qu'il détenait, bien sûr. Tout était flou, à ce moment-là, et il possédait bien des clefs de compréhension. Nous nous préparions à marcher sur Kana-El, et nous avions besoin de savoir ce qui se dressait sur notre route. Les plans d'Arthan. Et ensuite... pour des motifs pratiques. Nous pensions que la rébellion renaîtrait un jour, et il pouvait avoir un rôle à jouer. Le présent nous donne raison. (Elle couvrit Isine de son regard glacial.) C'était nécessaire.

— Nécessaire ? Il ne méritait pas ça, et vous le saviez ! ... Votre Majesté.

La reine ne releva pas, mais une pointe de regret perça dans sa voix.

— Malheureusement Isine, ce que l'on obtient ou pas, la vie que l'on a ou pas, tout cela n'est pas une question de mérite. Parfois les hommes mauvais se complaisent dans le luxe tandis que le destin s'acharne à détruire les hommes bons. Si ce que tu dis sur lui est vrai, alors il est peut-être dans le second cas, et c'est regrettable. Mais c'est tout ce que l'on peut en dire.

Isine dut retenir un grognement dépité. À aucun moment elle n'avait envisagé que sa reine puisse être consciente de cela et ordonner son emprisonnement et... le reste.

— Ne pouvez-vous vraiment rien faire pour lui, Votre Majesté ?

La souveraine posa sur Isine un regard empreint d'une pitié qui fit frémir d'horreur la jeune femme.

— Je ne peux pas composer sans lui dans la bataille qui s'annonce. Que tu l'acceptes ou pas n'a aucune importance. Le sort du royaume et celui de mon fils sont en jeu.

Isine sentit son cœur se transformer en glace dans sa poitrine.

— Vous allez l'échanger contre Son Altesse le prince Loenn ?

La reine eut une moue tout à fait royale.

— C'est plus complexe que cela.

— Si vous le remettez à l'autre camp, ils le tueront.

— Peut-être. Mais dans tous les cas, cela n'influencera pas ma décision. (Son regard était dur.) Je ne te demande pas de comprendre, Isine. C'est le genre de choix qu'un souverain doit faire mais ce n'est pas le genre de poids que tu dois porter, toi. C'est pourquoi j'accepte que tu ne sois pas celle qui le conduira jusque-là. Je peux te retirer de cette mission.

Isine prit une grande inspiration. Elle sentait les deux parties de sa conscience se heurter dans des gerbes d'étincelles, mais elle avait déjà pris sa décision. Elle pria pour que sa voix reste suffisamment ferme.

— Votre Majesté, si vous le permettez, je souhaite continuer. C'est ma mission et je l'accomplirai. (Elle releva la tête.) Je vous le jure, sur mon honneur. Ne vous ai-je jamais déçue ?

Les sentiments amers qu'elle ressentait, elle pouvait les encaisser. Elle avait le droit de ne pas accepter, comme l'avait rappelé la reine un peu plus tôt. Par contre, elle n'avait pas le droit de revenir sur sa parole, sur ses serments. Ils avaient guidé toute sa vie, ils étaient toute sa vie. Tout ce qui lui restait. Son honneur. Son devoir. Sa famille.

— Je te crois, Isine, déclara la reine Sofia après un instant de silence.

La jeune femme baissa la tête. Elle se sentait tout à la fois soulagée et envahie par un sombre désespoir.

— En échange, reprit alors la souveraine, je lui parlerai. J'essayerai de faire quelque chose pour lui. De lui rendre tout ceci plus agréable.

Isine s'inclina profondément.

— Je vous remercie, Votre Majesté.

Elle était toujours aussi troublée en regagnant la chambre de Dzangher, et prit plusieurs grandes inspirations avant de déverrouiller la porte. Plusieurs heures s'étaient écoulées depuis qu'elle l'avait quitté et elle avait omis de lui faire porter à manger.

Il l'attendait, assis au bout du lit, et se leva d'un bon à son entrée.

— C'est vous ! J'ai cru que vous ne reviendriez pas.

— Et qui te pourrirait la vie si je n'étais pas là, hein ?

— Je... je suis désolé pour ce matin.

Isine haussa les sourcils.

— Ah ? Pourquoi ?

— Euh... je ne sais pas. Vous aviez l'air... énervée.

— J'avais des choses à régler, c'est tout.

— Et est-ce qu'elles sont... réglées ?

— Oui, mentit Isine. Tout va bien.

Un jeu de rois et de pions 1 - Nous qui sommes des ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant