Chapitre 5

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La salle du trône paraissait toujours aussi immense à Isine alors qu'elle patientait, un genou à terre devant sa souveraine.

Généralement, la vaste pièce accueillait la cour de la reine Sofia, de nombreux courtisans et courtisanes, des chevaliers, des nobles et des représentants du collège de magie qui gravitaient autour d'elle, recherchant faveurs et complots en quantités égales.

Aujourd'hui, cependant, elle était impitoyablement déserte.

Les agents de l'ombre de Sa Majesté avaient l'habitude d'être seuls avec la reine, qui pour des raisons évidentes ne les recevait jamais en public, mais aujourd'hui la pression qu'Isine sentait dans sa poitrine était différente.

C'était Jeremy, son supérieur direct, qui lui avait amené la convocation de la reine. Si cela n'avait rien d'inhabituel, le fait qu'il lui demande de le retrouver dans la cour du château juste après, et surtout le ton urgent avec lequel il avait fait cette demande n'auguraient rien de bon.

Rien n'inquiétait Jeremy.

Habituellement.

— Relève-toi, ordonna la souveraine.

Dépliant son corps svelte, Isine se redressa et fit face à sa souveraine.

Sofia, première reine à être montée sur le trône masculin du Nelestran et à en arborer sa couronne, avait pris le pouvoir suite à la mort de son mari, à la fin de la guerre des 600. Après avoir écarté - écrasé serait plus juste - les autres prétendants, elle avait mené son armée à la victoire, annexé le pays d'à côté et assis son pouvoir et son derrière sur le trône. Position qu'elle tenait d'une main de fer depuis dix ans.

— Le prince Loenn a été enlevé, déclara la reine d'une voix qui sembla transpercer jusqu'à l'écho.

Isine sentit son souffle se figer et ne put s'empêcher de lever la tête. Ses yeux rencontrèrent ceux de sa souveraine. Ces iris si clairs qu'ils paraissaient blancs étaient habités du feu glacé qu'Isine avait toujours connu, mais flamboyaient aujourd'hui d'une énergie nouvelle. Impitoyable. La reine lui rendit son regard et Isine, parcourue par un frisson, baissa de nouveau la tête. Le premier choc passé, son cerveau tournait à toute vitesse.

— Il était en patrouille à la frontière est, reprit la souveraine. Nous pensons qu'il s'agit des rebelles volghiens. Quel est ton avis ?

La question était à double tranchant, songea Isine. Le « nous » incluait de toute évidence Jeremy, ce qui impliquait que la reine lui demandait de se positionner pour ou contre l'avis de son propre chef. Mais heureusement, elle avait suffisamment arpenté le terrain sur les traces de ces rebelles pour avoir son propre avis et n'eut aucun mal à formuler une réponse.

— Je pense que c'est le plus probable, Votre Majesté. Ils ont été particulièrement actifs il y a quelques temps de cela, suite à quoi nous n'avons plus eu aucune nouvelle. Ils préparaient peut-être cette attaque contre vous.

La souveraine eut un geste agacé de la main.

— Nous parlerons d'attaque quand leurs actions mériteront ce nom. Que peux-tu m'apprendre sur eux ?

— Peu de choses, Majesté, admit Isine. On estime leur nombre à quelques centaines, peut-être un millier. Ils ont peu de moyens, mais sont largement soutenus par la population volghienne, notamment dans les zones éloignées de la capitale (la reine eut une moue méprisante). Cela leur donne de la force ainsi qu'un important réseau qui les protège. Il est presque impossible de les suivre. N'importe quel homme, femme, enfant de volghie peut être un honnête paysan, marchand ou mineur de jour et un rebelle de nuit.

Un jeu de rois et de pions 1 - Nous qui sommes des ombresWhere stories live. Discover now