Chapitre 50

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[Félicitations à tous celleux qui auront eu le courage d'arriver jusque là, le prochain chapitre sera l'avant-dernier (du tome 1) !]

Q
uand Dzangher se réveilla, il pouvait encore sentir la chaleur d'Isine contre lui. Sa main parcourut les draps, cherchant sa présence, mais il ne rencontra que le vide là où il aurait dû se trouver la jeune femme. Il se redressa brusquement, faisant sursauter la personne qui se tenait dans le fauteuil à la place d'Isine.

— Hé, doucement, lui intima Cléa.

Ses longs cheveux bouclés tombaient toujours en cascade autour de son visage et elle portait la même tenue de cuir souple qu'affectionnait Isine, mais quelque chose en elle avait changé.

Il fallut plusieurs secondes à l'ancien général pour réaliser quoi.

La lassitude.

Une sourde angoisse monta en lui.

— Où est-elle ?

Le regard ému que la jeune femme posa sur lui, à cet instant, lui donna l'impression que tout son sang quittait son corps pour ne plus revenir.

— Elle ne t'a rien dit, n'est-ce pas ?

— Dire quoi ?

Cléa détourna le visage en se mordant les lèvres, incapable de répondre.

D'un bond, Dzangher fut sur elle, ignorant la douleur qui lui traversa le flanc. Mais Cléa était une espionne talentueuse et au lieu de lui saisir le col, il se retrouva avec la dague de la jeune femme pointée sur la gorge.

Elle le fixait avec des yeux ronds, comme si elle ne réalisait que maintenant la puissance de son désir pour Isine. Ce qui, se dit Dzangher, était probablement le cas, lui-même n'en ayant pas eu conscience auparavant.

— Où est-elle ? insista Dzangher entre ses dents.

— En prison. Elle a été condamnée par la reine. Elle sera exécutée demain matin.

La voix de Cléa était altérée, mais ni sa main ni sa dague ne tremblèrent.

L'information mit quelques secondes pour arriver à son cerveau, puis il vacilla comme s'il venait de se faire frapper.

Isine ?

Condamnée ?

Exécutée ?

Impossible.

— Comment ?

— Je n'en sais pas plus que toi, souffla la jeune femme devant son air perdu. Elle n'a pas voulu me le dire et tout se fait de manière si discrète... Impossible de savoir. Haute trahison, quelque chose comme ça.

« Haute trahison ».

— Non, c'est faux. C'est forcément faux. Ça n'a aucun sens. C'est moi l'ennemi, ici. C'est moi le traître !

Il avait crié, mais Cléa se contenta de secouer la tête, les yeux humides.

— Je n'en sais pas plus. Désolée.

— Combien de temps suis-je resté inconscient ?

— Quelques jours. Une semaine.

Dzangher se passa la main sur la figure. Tout cela n'avait strictement aucun sens. Aucun. Putain. De sens.

— Je ne comprends pas. Je ne comprends vraiment pas.

— C'est peut-être à cause de la guerre.

Il se figea.

— Quelle guerre ?

— Oh, bien sûr. Tu n'es pas au courant. Les... rebelles volghiens ont tué le prince Loenn. Puis ils ont commencé à attaquer tous les nelestrans qui étaient dans le pays, et la reine a décidé d'envoyer ses troupes. Ce sera la guerre. C'est la guerre.

— Non, c'est impossible...

Sa voix s'étrangla dans sa gorge. D'un instant, il fut projeté dix ans en arrière. Le sentiment étrange que tout se répétait encore une fois lui retourna le ventre, lui donnant la nausée.

Ils n'avaient donc pas compris la première fois ?

Une vague de désespoir monta en lui, puis son cerveau enregistra la première chose que la jeune femme venait de dire

Les rebelles n'avaient pas tué le prince Loenn.

Il était tombé du pont.

Avec lui.

Par les cieux.

Isine l'avait rattrapé lui.

Mais pas le prince.

Elle avait sacrifié le prince.

Pour lui.

Haute trahison.

Le monde se mit à tourner furieusement autour de lui, et il glissa au sol. Cléa ne fit rien pour le retenir.

Il avait l'impression que son cœur battait directement dans son cerveau, entre ses tempes, rythmant ses pensées.

« Ne t'occupe pas du prince. Je ne veux pas parler de lui ».

Par les cieux.

Il n'avait pas compris.

Il avait été aveugle.

Un gémissement sourd franchit la barrière de ses lèvres.


Elle était venue.

Et il n'avait rien vu.

Le mur.

Le mur était là pour ça.

Pas parce qu'elle se méfiait de lui, mais pour lui cacher ça.

Elle savait qu'elle allait mourir. Elle le savait, et elle n'avait rien dit.

Non.

Ça ne pouvait pas finir ainsi.

Si quelqu'un devait mourir, alors ce devait être lui.

Elle ne pouvait pas faire ça.

Elle n'avait pas le droit !

Il eut l'impression d'arracher les mots de sa gorge tant elle était serrée par l'émotion qui le dévalait.

— On doit pouvoir faire quelque chose.

Cléa fit non de la tête, mais il n'était pas prêt à laisser tomber.

— Où est-elle ?

— Dans les cachots, je suppose.

— Et tu ne peux pas... ?

Il agita vaguement la main.

Cléa émit un son qui aurait presque pu passer pour un rire.

— Non. Non, je ne peux pas juste... (Elle reproduit son mouvement.) Je n'ai pas ce genre de pouvoir.

— Qui l'a ?

— Personne, soupira-t-elle. Arrête d'y penser. Ça ne fera que plus mal.

— Je veux la voir.

— Moi aussi, je veux la voir, rétorqua-t-elle d'un ton soudain vif. Tu n'as pas entendu ce que je viens de dire ?

Ses yeux flamboyèrent

— Je veux la voir.

— Je t'ai dit que je ne pouvais pas faire ça !

— Alors, amène-moi quelqu'un qui le peut !

Il avait crié. Ses mains se serrèrent une fois de plus, ses ongles raclant la pierre du sol jusqu'au sang.

Cléa le regarda avec un air profondément désolé, et il sentit un vide immense s'ouvrir en lui.

— Quelqu'un doit bien pouvoir faire ça... gémit-il, et sa voix se brisa sur les derniers mots.

La jeune femme n'eut aucune réaction alors qu'il ramena ses genoux contre lui, baissa la tête et ne bougea plus.

Il ne bougeait toujours pas quelques minutes plus tard quand elle quitta la pièce en silence.

Un jeu de rois et de pions 1 - Nous qui sommes des ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant