Chapitre 27

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Isine aimait regarder les gens aller et venir dans la cour du château, vaquant à leurs occupations comme si tout était normal. Cela la fascinait toujours de voir les autres agir comme si de rien n'était, même si c'était précisément parce qu'ils ignoraient que quelque chose était. Elle se demandait à quoi pouvait bien ressembler le quotidien de ceux pour qui tout était simple et clair, ceux qui ne relevaient jamais le coin du voile et qui ne cherchaient pas à connaître le pourquoi des choses.

Mais en l'occurrence, elle devait bien admettre que seuls quelques indices pouvaient amener un œil attentif à se douter que quelque chose était en marche.

Par exemple, il y avait ces hommes qui avaient tenté de quitter le château en toute discrétion la nuit dernière. Manque de chance (pour eux), elle passait devant une fenêtre à ce moment-là et avait observé leur manège. Elle avait noté les lourdes fontes de leurs montures ainsi que leur équipement, destinés à un long voyage. Plus tard, quand elle avait cherché Jeremy pour lui demander un conseil, elle avait appris qu'il avait lui aussi disparu et ne reviendrait pas avant un jour ou deux. Elle avait aussitôt fait le lien avec ces hommes partis un peu plus tôt et elle avait senti son inquiétude grandir. Il ne lui avait fallu qu'une seconde pour comprendre que cette mission était liée à l'enlèvement du prince et autant de mouvements ne pouvaient signifier qu'une chose : le temps s'accélérait.

Mais vers le mieux ou vers le pire, cela restait à voir.

Elle avait continué à traîner Dzangher à leurs entraînements matinaux qui étaient désormais réguliers. Il retrouvait peu à peu la forme et n'était plus aussi essoufflé qu'au début, même après de nombreuses passes. Afin de varier un peu, Isine avait ajouté des bâtons et des dagues à leur panel d'armement. Dzangher s'était montré particulièrement doué avec les premiers et elle-même lui avait fait mordre la poussière les yeux fermés avec les secondes.

Ils arrivaient au terme de l'un de ces entraînements. Le matin était encore frais et le vent s'enroulait autour de la tour, faisant voleter leurs vêtements. Les températures remontaient peu à peu et la neige se réduisait à présent à quelques congères recluses dans les bas-côtés. La nature commençait à émerger de l'hiver et le zéphyr charriait jusqu'à eux les premières senteurs du printemps.

Isine venait d'infliger à Dzangher une passade particulièrement vicieuse qui s'était terminée par sa dague de bois lui caressant les côtes sans douceur. Il avait grogné avant de se dégager d'un coup de coude pour tenter une offensive vers la gorge d'Isine, profitant d'une ouverture. Mais Isine avait prévu l'attaque. Elle rejeta la tête en arrière tout en déviant la trajectoire de la lame. L'arme de bois de l'ancien général frôla son cou, mais elle aurait tout aussi bien pu se trouver à plusieurs mètres tant la maîtrise de la jeune femme était parfaite. En ces moments-là, elle remerciait les maîtres d'armes de la garde et le vieux vautour qui servait de maître d'armes aux espions qui leur avaient fait pleurer du sang pendant toutes ces années. Elle sourit devant la souplesse et la fluidité de son corps, puis leva brusquement le bras pour percuter celui, tendu et vulnérable, de Dzangher. Elle l'atteignit en plein sur le nerf, exactement là où elle avait visé. Sous le choc, les doigts de Dzangher s'ouvrirent et sa dague vola à terre. Isine en profita pour envoyer son coude plié dans la poitrine de l'halfelin, sans toutefois y mettre toute sa puissance.

L'effet fut tout de même spectaculaire et Dzangher recula de plusieurs pas avec un grognement étouffé.

Ils se séparèrent, se tournant autour comme deux prédateurs jaugeant leur proie. Ce fut Dzangher qui bondit en premier.

Décidément, pensa Isine, certains n'apprenaient jamais.

Armé d'une seule dague, il feinta pour prendre la jeune femme de côté, mais celle-ci accompagna le mouvement. Mais quand elle contra l'attaque visant son flanc, elle constata qu'elle venait d'arrêter son poing fermé. Les yeux de Dzangher étincelèrent de malice. Il en avait profité pour faire passer la dague dans son dos, changeant de main au plein milieu du combat. Les pupilles d'Isine s'agrandirent quand l'arme de Dzangher revint par la gauche dans un cercle court qu'elle ne pouvait plus bloquer.

Un jeu de rois et de pions 1 - Nous qui sommes des ombresWhere stories live. Discover now