Chapitre 19

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Voyager en hiver d'un bout à l'autre du royaume n'avait rien de plaisant, quelle que soit la puissance de la motivation à effectuer le trajet. Jeremy était parti le lendemain de son entrevue avec la reine. Entrevue qui s'était étendue sur une bonne partie de la nuit, comme de bien entendu.

Sa Majesté Sofia était connue pour avoir eu plusieurs amants au cours des années, même s'il n'avait aucune idée de qui étaient les autres heureux élus. Entre ses mains, il avait appris et expérimenté des choses et des sensations qu'il n'aurait pas crues possibles. Il redoutait le moment où elle se lasserait de lui et faisait de son mieux pour être toujours plus imaginatif, mais il sentait ses compétences et sa résistance diminuer, et son temps comme favori de la couronne était compté.

Il espérait simplement pouvoir garder sa place à la tête de son réseau d'espions après cela, mais la souveraine mettait un point d'honneur à séparer travail et plaisir, et il estimait pouvoir se fier à cela. Parfois, il se demandait pourquoi il acceptait encore qu'elle l'utilise comme ça.

Il savait qu'il aurait pu dire non.

Peut-être essayait-il de se prouver quelque chose.

Peut-être était-il juste très seul.

Ces souvenirs et ces questions tournèrent dans son esprit tout au long du voyage jusqu'au Pont des Soupirs.

Il était parti avec une modeste escorte formée par trois de ses hommes parmi les plus sûrs, et le nombre de mots qu'ils échangeaient chaque jour avoisinait le zéro. Ils avançaient vite, aidés en cela par une missive de la reine que Jeremy brandissait en arrivant aux écuries des coursiers royaux, qui leur valait de repartir immédiatement sur des montures fraîches et reposées.

Ils ne s'arrêtaient pas dans les auberges, au grand dam des compagnons de Jeremy et de Jeremy lui-même, même s'il ne l'aurait jamais avoué. Il était celui qui leur imposait les nuits à la belle étoile, avec pour seule protection leur couverture qui laissait s'infiltrer l'humidité du sol.

Au bout de cinq jours de ce régime, le maître espion lui-même commençait à ressentir les effets du froid et des nuits trop courtes passées à grelotter. Mais ils avaient parcouru une distance considérable, tout cela pour s'assurer d'être les premiers au pont qui marquait la frontière entre les deux royaumes. Il souhaitait installer une surveillance avant de rencontrer l'émissaire des rebelles.

Ils touchaient au but de leur voyage.

La route qu'ils suivaient à présent était large et bien entretenue et filait droit jusqu'à la Rivière Cendrée et au Pont des Soupirs, seul point de passage sur des kilomètres et des kilomètres.

Partout autour d'eux, la forêt entourait le chemin de toutes parts. Les ingénieurs qui avaient construit cette dernière avaient cependant pris cela en compte car une vaste bande de terrain avait été dégagée de chaque côté de la chaussée de pierre, prévenant les embuscades.

Jeremy s'était enroulé dans son manteau et somnolait sur sa selle, bercé par le pas de son cheval et par les nuages de fumée que produisait son souffle, quand celui de ses hommes qu'il avait envoyé en reconnaissance revint vers eux au galop.

Il releva brusquement la tête en entendant le vacarme des sabots sur la pierre et les deux espions qui étaient restés avec lui tombèrent instantanément en alerte.

Dès que le cavalier se rapprocha, Jeremy constata qu'il n'avait pas dégainé son arme ni lancé un signal d'avertissement, et les trois hommes se détendirent.

L'éclaireur s'arrêta à leur hauteur dans un dérapage assez peu contrôlé, son cheval glissant sur les pavés à demi gelés. La course avait rejeté en arrière la capuche du manteau doublé de fourrure qu'ils portaient tous et ses joues étaient rougies par le vent et le froid.

Un jeu de rois et de pions 1 - Nous qui sommes des ombresWhere stories live. Discover now