Chapitre 45 - partie 1

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[NdA : je coupe le chapitre en deux, vous avez le droit de m'insulter dans les commentaires]

Isine observait les rebelles se rapprocher du pont à leur tour.

Leur chef, Mia, conduisait le prince, une main dans son dos. Les autres marchaient derrière eux à distance respectable. Leur échange, vu d'ici, n'avait rien eu d'apaisé. La jeune femme eut une pointe de sympathie pour ce prince qu'elle connaissait assez peu. Elle ignorait ce qu'il avait dû subir lors de sa capture et, même s'il était évident que les rebelles avaient souhaité le garder en vie, ce n'était pas une raison suffisante pour garantir son intégrité. Dzangher en était l'exemple parf...

Non.

Elle ne voulait plus y penser.

Pas maintenant.

Il allait sortir de sa vue et de sa vie.

Elle enterra ses sentiments au fond de son esprit à grands coups de pelles rageurs.

À la place, elle se concentra de nouveau sur le prince, qui avançait avec la chef des rebelles, l'air sombre. Il ne semblait pas trop avoir souffert de sa captivité. Son visage était toujours aussi beau, pâle et lisse, mais de là où elle était, elle pouvait voir qu'il était convulsé par de fortes émotions.

Le groupe s'arrêta de l'autre côté du vide, leur faisant face.

— Nous avons un accord ? lança la reine.

Mia Sarikhan marqua son assentiment par un infime mouvement du menton.

— Le général et l'indépendance contre votre fils.

— Je vois que vous avez su vous montrer raisonnables, en fin de compte.

— Contrairement à ce que vous pensez, nous ne sommes pas des sauvages. Maintenant, soyez assez aimable pour arrêter de nous insulter, sinon je pourrais décider que la guerre en vaut la peine.

Une lueur s'alluma dans le regard de la reine.

— Vous apprenez vite. J'ai hâte de traiter avec vous.

Sarikhan eut un reniflement méprisant et elle fit un geste au prince qui avança pour se placer face à la passerelle, l'air toujours aussi sombre.

La reine fit de même avec Dzangher, et ce dernier s'avança à son tour de ce même pas mécanique.

À côté d'elle, Isine sentit Jeremy se tendre imperceptiblement.

— Quoi ?

— Rien, frémit le maître espion. Un mauvais pressentiment, c'est tout. Je n'aime pas ce pont.

Isine jeta un coup d'œil à l'assemblage de bois et de cordes. Le plateau lui semblait solide, et des planches étaient également placées de part et d'autre pour empêcher quiconque de tomber par accident. Cela dit, cela restait du bois et de la ficelle au-dessus de plusieurs dizaines de mètres de rien.

— Il est renforcé par magie, non ?

— Oui, grommela Jeremy. Mais ils auraient pu lui donner une apparence plus robuste.

Il se tut alors que les deux hommes s'engageaient sur ledit pont.

*

**

Mille pensées s'entrechoquaient dans l'esprit de Loenn tandis qu'il saisissait les cordes placées au niveau de ses coudes pour stabiliser ses premiers pas. Tout était allé si vite. Un instant, il se consumait d'une rage profonde, viscérale. Il avait envie de hurler. De se débattre. De fuir. De les tuer tous, peut-être. L'instant d'après, il était glacé, ravagé par un désespoir sans fond dans lequel il glissait sans retenue.

Ils l'avaient trahi.

Tous.

Tous autant qu'ils étaient.

Des larmes lui brûlaient les yeux, mais il ne voulait pas les laisser sortir.

Il fit un autre pas.

Au prix d'un gros effort, il leva la tête. Son regard s'envola jusqu'à sa mère qui le fixait, froide et royale, comme toujours. Pas trace de joie sur son visage fermé. Pas trace de peur. Juste de la satisfaction.

« Tu as gagné », pensa-t-il « et tous les autres ont encore perdu. J'ai perdu ».

J'ai perdu.

Cette phrase résonna en lui comme un mantra, rythmant chacun de ses pas.

Soudain, le pont se mit à osciller et il dut se retenir à la rambarde pour ne pas tomber. Son regard glissa vers le bas du précipice, invisible dans les ombres, et il eut l'impression que le vide se jetait sur lui. Il se rejeta en arrière, la respiration hachée.

Non.

Il n'était pas prêt à renoncer.

Il ne pourrait plus baisser la tête et supporter tout ce qu'il avait enduré ces dernières années. Pas après tout ce qu'il venait de vivre. Tout ce qu'il avait vu. Des larmes de rage perlèrent à ses yeux et celles-là, il n'essaya pas de les contenir.

Peut-être était-il temps qu'il prenne lui-même en main son destin, puisque personne, de toute évidence, n'allait le faire à sa place. Cette pensée s'installa en lui avec la force d'une certitude.

Et s'il avait fallu en passer par là pour réaliser cela, alors le jeu en valait peut-être la chandelle.

Il se remit debout tant bien que mal et son regard tomba sur l'homme qui avançait face à lui. Il en avait presque atteint le milieu et titubait aussi à cause des bourrasques.

À cet instant, le prince sut ce qu'il lui restait à faire.

Sans échange, l'accord était caduc.

Sans accord, pas d'échange.

C'était tellement simple.

D'une main, il lâcha la corde pour vérifier la présence de la petite dague qu'il portait à la ceinture depuis quelques jours. Ses doigts trouvèrent le froid de l'acier, et ce contact fut comme un électrochoc.

Son regard et son esprit s'éclaircirent.

Il se redressa et se dirigea à son tour vers le milieu du pont.

*

**

Un jeu de rois et de pions 1 - Nous qui sommes des ombresWhere stories live. Discover now