Chapitre 15

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Tchaek était livide. Lilia avait dû s'accrocher à son épaule pour ne pas tomber mais il ne semblait pas l'avoir remarquée. Une main devant la bouche, elle laissait les larmes rouler sur ses joues sans retenue. À leurs côtés, un peu en retrait, Loenn était pâle et silencieux.

— Combien ? demanda Mia d'une voix rauque.

Elle était l'une des seules à ne pas pleurer ou céder au désespoir. Debout, les mains le long du corps, elle se tenait droite par la force de sa volonté, seule et terrible au milieu des cendres de ses partisans.

— Nous étions cinquante-deux, répondit la jeune femme qui leur avait apporté la nouvelle.

Ils avaient atteint le campement des petites pierres la veille. Le lieu méritait bien son nom, perdu dans une lande ponctuée de rochers de tailles diverses polis par les éléments. La position offrait à la fois une vue dégagée pour leurs veilleurs et de multiples couverts pour qui savait les exploiter.

La messagère était arrivée sur un cheval haletant et couvert d'écume, déboulant au milieu du camp au grand galop, poursuivie par deux gardes paniqués. Mia était sortie de sa tente, accompagnée de Tchaek. Ce dernier avait juste eu le temps de réceptionner la jeune femme avant qu'elle ne s'écroule au sol. Mia avait foudroyé les gardes du regard et les avait sèchement renvoyés à leur poste, penauds.

Ils avaient emmené la jeune femme dans la tente de Mia et l'avait allongée sur un lit de fortune. Elle avait ouvert les yeux peu après, murmurant sans cesse qu'elle devait trouver Mia, trouver Mia, trouver Mia. Stovy et Lilia étaient arrivés peu après, et ils l'avaient fait boire quelques gorgées d'eau en s'assurant qu'elle n'était pas blessée. Soudain, elle avait avisé la présence de la chef rebelle et ses yeux s'étaient emplis de larmes.

Elle avait commencé à raconter.

Elle arrivait du camp de Kush. Elle leur raconta comment, un soir, ils avaient perçu du bruit dans les bois autour du camp et comment deux de ses camarades et elle-même étaient allés en vérifier l'origine. Ils n'avaient rien trouvé, mais quand ils avaient fini par retourner sur leurs pas, l'odeur de fumée et les cris d'agonie les avaient cloués sur place. Entre les arbres, ils avaient vu les chevaliers en armure brillante exécuter leurs camarades, fauchant leurs frères et leurs amis les uns après les autres.

À ce stade, sa voix s'était brisée et son regard s'était perdu dans des ombres qui n'appartenaient qu'à elle. Mia et les autres avaient respecté son silence.

Elle raconta qu'ils avaient vu les femmes sans défense qui suppliaient les soldats d'arrêter, des enfants qui tentaient de fuir qu'on frappait sans hésitation.

« Des démons », ânonna-t-elle « ce n'étaient pas des hommes, c'était des démons ».

Puis elle expliqua comment l'un d'eux avait relevé les yeux et les avait aperçus à travers les arbres. Elle avait senti ses entrailles se liquéfier alors qu'il s'était avancé vers eux sur son cheval fumant, l'épée au clair, la lame rouge de sang.

Ils s'étaient enfuis.

Portés par la panique, elle avait couru à travers les bois, sautant par-dessus les troncs et laissant les branches lui cisailler le visage. Poursuivie par l'enfer.

Elle ne savait pas pourquoi elle avait survécu. Pourquoi elle et pas les deux autres ? Elle avait entendu leurs cris puis leurs appels et enfin leur agonie alors qu'elle atteignait l'orée de la forêt, saine et sauve.

Elle s'était cachée dans un trou, glacée, tremblante et terrifiée et avait attendu jusqu'à l'aube, mais personne n'était venu.
Elle n'avait pas osé y retourner.

Un jeu de rois et de pions 1 - Nous qui sommes des ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant