Chapitre 14

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Quand Isine entra dans la chambre du prisonnier, un peu plus tard que d'habitude, elle le trouva face à l'une des fenêtres qui s'ouvraient sur la ville. Quelques flocons de neige s'étaient mis à tomber durant la nuit, dévoilant au matin des paysages ourlés de blanc, couleurs et crasse couverts par un manteau immaculé. Il ne l'avait pas entendue entrer. Les mains agrippées aux barreaux, il était concentré sur l'extérieur et garda une immobilité parfaite.

Parfaite ?

Isine remarqua avec surprise que les épaules du prisonnier tremblaient.

Il pleurait.

En silence.

Elle se figea, la porte à moitié ouverte.

Bien sûr, elle aurait entrer. Qu'il pleure ou pas en regardant la neige tomber ne changeait rien pour elle, mais quelque chose se serra dans sa poitrine à la vue de cette scène pathétique.

Pour la première fois peut-être, elle avait devant elle non pas le meurtrier responsable de la mort de milliers de personnes mais un homme seul, brisé par dix ans d'emprisonnement, de mauvais traitements et de solitude. Et tandis qu'une partie d'elle-même avait envie de lui crier que les larmes des enfants n'avaient rien changé face aux épées des soldats volghiens, une autre part se demanda ce que pouvait bien être sa version, à lui.

Avant qu'elle n'ait pu décider si elle allait refermer la porte pour le laisser seul, il pivota et sursauta en remarquant sa présence.

Un air de honte se peignit sur ses traits alors qu'il se détournait brusquement en essuyant les larmes qui coulaient sur ses joues.

— Pardon, murmura-t-il, avant de se raidir en réalisant ce qu'il venait de faire.

Elle vit sa silhouette se tendre, comme dans l'attente d'un coup. A la place, elle referma lentement la porte et se dirigea vers la fenêtre pour vérifier quelque chose.

Elle vit les bâtiments aux toits gris de la ville de Roc-Argent blottis les uns contre les autres, leurs cheminées déjà fumantes dans le petit matin et, au-delà, les ombres vertes des sapins et les squelettes vides des arbres qui entouraient la cité. Un mince rideau de neige tombait sur le tout en virevoltant dans une danse quasi-hypnotique.

Rien qui sortait de l'ordinaire, donc.

Sans accorder un regard à l'homme toujours accroché aux barreaux qui la suivait du regard sans comprendre, elle fit demi-tour jusqu'à son fauteuil. Elle prit tout son temps pour s'appuyer nonchalamment sur le dossier avant de répondre.

— Pas grave.

Elle profita qu'il était debout pour le détailler de haut en bas d'un œil critique. Il commençait à se remplumer et même s'il donnait encore l'impression de pouvoir s'envoler au moindre souffle d'air, il n'était plus aussi famélique qu'avant. Elle inclina la tête. Avec des vêtements amples, ça pouvait même passer inaperçu. Bien sûr, il y avait les cernes qui creusaient encore ses yeux, probablement gravées là par les années de prison, mais il faudrait faire avec. Une capuche, peut-être ? Oui, ça devait être possible.

— Que dirais-tu de faire un tour dehors ?

Le regard du prisonnier se riva sur elle, plein d'incrédulité et d'espoir. Il hocha la tête.

— Bon, fit-elle en se relevant, je vais te chercher un manteau. On n'ira pas loin, juste sur les créneaux, mais ça suffira bien pour ce que tu as à y faire.

Quelques instants plus tard, ils étaient dehors. La neige tombait en tourbillonnant autour d'eux, étouffant les sons de la ville. Les pierres des remparts étaient assez froides pour que les flocons s'y accrochent et elles disparaissaient déjà sous un manteau ivoire, rendant le sol très glissant. L'air frais formait des petits nuages de vapeur devant eux.

Un jeu de rois et de pions 1 - Nous qui sommes des ombresМесто, где живут истории. Откройте их для себя