Chapitre 30a

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Dzangher avait finalement réussi à persuader la jeune femme de lui procurer des pièces du jeu des Rois, un jeu de stratégie très populaire tant au Nelestran qu'en Volghie. Chaque joueur choisissait ses pions pour se construire une armée et ils s'affrontaient ensuite sur un plateau dessiné à la craie qui variait donc à chaque partie. Les meilleures tactiques étaient celles qui parvenaient à mêler audace, réflexion et réaction à parts égales, une combinaison très complexe à obtenir.

En réalité, Isine n'avait pas été très difficile à convaincre. Étant elle-même une pratiquante régulière de ce jeu, apprécié par les soldats comme par les princes, elle n'avait résisté à Dzangher que pour la forme avant de céder. Elle commençait néanmoins à douter de la pertinence de ce choix car depuis le moment où les pièces avaient intégré la chambre, elle se faisait battre à plate couture.

À chaque fois.

Ils étaient en train d'en disputer une, très mal engagée pour la jeune femme, quand plusieurs coups furent frappés à la porte. Le temps que les deux joueurs ne lèvent la tête — Isine immédiatement sur ses gardes — une enveloppe avait glissé sur le sol.

Elle alla la récupérer tandis que Dzangher se concentrait de nouveau sur la partie. Elle se figea un instant en avisant le sceau royal, le brisa avant de parcourir la missive.

Son cœur accéléra.
La reine voulait parler au prisonnier.

Quand elle vit où elle devait le mener, le visage d'Isine se ferma.

— Quoi ? fit Dzangher depuis le lit où ils avaient posé la planche qui leur servait de plateau de jeu.

— Prépare-toi, tu as rendez-vous avec Sa Majesté.

Il déglutit.

— Sa Majesté... la reine Sofia ?

— En personne, répondit Isine d'un ton plus sec qu'elle ne l'aurait voulu. Tu avais deviné que c'était à elle que tu aurais affaire, non ? (Elle secoua la lettre.) Eh bien, voilà la confirmation.

Il reporta son attention sur les pions qui attendaient sur le plateau, et sur ses doigts qui tenaient encore la pièce qu'il s'apprêtait à jouer.

— C'est dommage, fit-il à mi-voix, j'allais gagner.

Quelques instants plus tard, il avait revêtu une chemise blanche et une veste de velours noir brodée de motifs dorés assortie d'un pantalon qui habillaient élégamment sa silhouette trop fine. Alors qu'ils parcouraient les couloirs d'un pas rapide, il ne cessait de tirer sur ses manches et d'ajuster son col, à tel point qu'Isine lui donna une tape sur la main en lui faisant les gros yeux.

— Ça me gratte ! Je n'ai pas l'habitude.

Elle se contenta de plisser un peu plus les yeux et il baissa les bras en soupirant.

Le reste du trajet se déroula dans un silence tendu, Isine n'ayant pas desserré les lèvres depuis qu'ils avaient quitté la chambre.

Quand ils sortirent de l'aile ouest pour entrer dans le cœur du château, Dzangher oublia jusqu'à la raison qui les amenait ici. Les murs de cette partie du bâtiment étaient faits de la même pierre sombre, mais c'était bien là leur seul point commun. Celles-ci étaient tellement polies qu'elles brillaient comme du verre. Des lampes diffusaient une lueur dorée bien plus agréable que celles des torches et, sous les plafonds aux courbes arrondies, des lumignons scintillants voletaient tels des nuées d'insectes. À intervalles réguliers, de longues tentures blanches rehaussées d'argent — les couleurs de la reine — venaient briser la monotonie des couloirs et apporter un peu de chaleur. Des présentoirs de bois clair et de marbre supportaient des figures fantastiques, animaux, plantes et paysages finement ciselés dans une matière qui ressemblait à du cristal.

Un jeu de rois et de pions 1 - Nous qui sommes des ombresWhere stories live. Discover now