Chapitre 18

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Le lendemain, Isine déboula dans la chambre qu'occupait Dzangher alors que le soleil n'était levé que depuis peu. Le général, qui était lové dans ce qui était peu à peu devenu fauteuil de la jeune femme, se dressa d'un bond. Isine lui adressa un regard suspicieux par-dessus la pile de livres qu'elle portait dans ses bras.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

Dzangher s'écarta d'un pas chassé discret.

— Je profitais du soleil. (Il eut un mouvement du menton) Je ne supporte plus ce lit.

La lumière pâle de l'hiver pénétrait dans la pièce en passant à travers les carreaux qui la diffractaient en une multitude de couleurs. Des rayons soulignés par les fines particules de poussière traversaient ainsi la chambre, et l'un d'eux tombait directement sur le fauteuil.

Isine leva les sourcils mais ne fit aucun commentaire. Elle referma la porte d'un coup de pied et déposa sa pile de livres sur le lit. Dzangher s'approcha, méfiant.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Des livres.

Une expression bizarre tordit sa bouche et il s'immobilisa.

— Pour lire, insista Isine. Pour toi.

— Pour moi ? (Son ton était confus.) Et que me vaut cette... faveur ?

Isine faillit répondre « c'est la volonté de la reine » mais s'arrêta juste avant que les mots ne franchissent ses lèvres. Elle n'était pas sûre de ce qu'elle avait le droit de révéler ou pas, mais elle était en revanche certaine que les plans de la souveraine n'en faisaient pas partie.

Elle fit la moue.

— Tu retrouves des forces, et je me suis dit que je ferais mieux de te trouver quelque chose à faire, histoire de t'occuper sur des choses constructives.

Dzangher afficha un air sceptique mais tendit la main vers le premier ouvrage avant de se figer une nouvelle fois. Il interrogea la jeune femme du regard.

— Vas-y, assura-t-elle en levant les yeux au ciel. Ils ne sont pas piégés. Promis.

Il fronça légèrement les sourcils, incapable de savoir si elle se moquait de lui. Sa main hésita encore une fraction de seconde puis effleura la couverture comme s'il s'attendait à ce que le papier ne l'avale. Isine soupira.

Voyant que rien de tel ne s'était produit, il déposa délicatement le bout de ses doigts sur l'ouvrage puis sa paume entra en contact avec le cuir lissé par les années. Il le caressa lentement, savourant la sensation, avant de le saisir comme s'il tenait un objet d'art.

— Vous n'avez pas idée de ce que ça représente pour moi, lâcha-t-il, la voix étranglée par l'émotion.

— Hmm-hmm.

— Quoi ?

— Tu penses que je n'ai pas vu comment tu regardes les miens ?

Il rougit légèrement, tel un enfant pris en faute. Sur ses joues rendues trop pâles par l'incarcération, tous ses sentiments s'affichaient comme des pétales de fleur en hiver.

— Oh, fit-il en détournant la tête.

— Comment se fait-il qu'un soldat aime autant les livres ?

Elle ne s'attendait pas à ce qu'il réagisse, aussi fut-elle surprise quand il commença doucement, les yeux perdus dans les pages ivoires de l'ouvrage qu'il tenait entre ses mains.

— Au début, c'était par attrait de ce que je n'avais pas. Mes parents étaient pauvres, fit-il en réponse à la question muette de la jeune femme, tout ce qui n'était pas nécessaire à la survie était proscrit. Et ensuite... peut-être que j'espère y chercher des réponses que je n'ai pas. Comprendre.

— Comprendre quoi ?

— Je ne sais pas. Le sens de tout ça.

— Tu essayes de trouver une signification à ce que tu as fait ? Je ne suis pas sûre que ce soit possible.

Le ton d'Isine s'était teinté d'une ironie qu'elle n'avait pas réussi à effacer totalement de sa voix.

— Peut-être, admit-il. Mais peut-être que je préfère penser que quelque chose, quelque part, fera que ces vies n'ont pas été perdues pour rien.

Pour le coup, la jeune femme ne trouva rien àrépondre. 

Un jeu de rois et de pions 1 - Nous qui sommes des ombresTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon