Chapitre 32

25 6 57
                                    

Jeremy patientait en silence, quelques pas derrière la reine alors que cette dernière traitait les problèmes du jour.

Cet après-midi-là, la vaste salle du trône était décorée de branches d'arbres recouvertes de guirlandes argentées et de fausse neige, tandis qu'un sort faisait tomber des flocons évanescents et brillants du plafond. Alignées contre les murs, des œuvres d'art en cristal ou sculptées dans la glace figuraient tantôt des arabesques et des scènes abstraites, tantôt des tables, chaises et autres fauteuils tout ce qu'il y avait de plus concret.

La cour de la reine s'étendait à ses pieds, comme à son habitude. Parés de multiples couleurs et tissus extravagants, les courtisans et les courtisanes, tous des faeries ou des sang-mêlé, discutaient tels des conspirateurs, évoquant irrésistiblement aux yeux du maître espion un parterre de fleurs aux pétales multicolores.

Il était rentré du monastère des Gorges Noires la veille, réalisant l'aller-retour en un temps que lui seul était capable d'accomplir. Il avait rendu compte à la reine de ce qu'il y avait vu et travaillait depuis à organiser la rencontre, prévoir toutes les menaces qui pouvaient peser sur Sa Majesté, et surtout comprendre qui avait pu les trahir.

Il avait beau tourner et retourner ce dernier problème dans sa tête, il ne voyait pas qui cela pouvait être. À part lui et la reine, personne n'était — et personne n'aurait dû — être au courant de cette mission. Mais si ce n'était pas un traître, alors quoi ? Étaient-ils espionnés ? Il avait fait fouiller le cabinet de la reine, contrôlé tous les passages qu'il connaissait dans le château, mettant à profit ceux de ses recrues qui étaient des faeries et leurs pouvoirs pour s'assurer qu'aucun sort n'avait été jeté.

La reine attendait des réponses, et il n'avait rien à lui donner.

Rien.

Rien que des hypothèses qui sonnaient toutes plus creuses les unes que les autres.

Il repassa rageusement toutes ses suppositions dans sa tête. La seule qu'il ne pouvait pas exclure d'office était l'implication de ce fameux général qu'Isine surveillait.

C'était improbable, bien sûr, mais il ne pouvait pas tout à fait écarter l'idée. Il était allé poser la question à la jeune espionne et il avait lui-même contrôlé la chambre où elle le gardait prisonnier en l'absence de ce dernier.

Toujours rien.

Mais Dzangher restait un ennemi, un ennemi présent au cœur même du château, dans l'entourage de Sa Majesté. Et si ce n'était pas lui, peut-être avait-il pu faire passer des informations à un contact. Ce n'était pas impossible, Isine le lui avait confirmé. Elle-même n'était pas là en permanence, s'absentant généralement la nuit. En outre, Dzangher aurait pu le faire sans s'échapper de sa chambre. Mais la jeune femme elle-même n'était pas au courant du rendez-vous avec les rebelles, alors comment le général aurait-il pu l'être ?

Ah, par les cieux ! Il tournait en rond, et il sentit un mal de tête qui commençait à pointer.

Il soupira.

Pour se changer les idées, il laissa son regard courir sur les courtisans errant dans la salle du trône, certains venus présenter leurs affaires à la reine, d'autres uniquement pour être vus à la cour et gagner des faveurs. Beaucoup le considéraient avec envie, certains allant même jusqu'à une hostilité mal dissimulée. Il était le seul à avoir le droit de se tenir sur l'estrade aux côtés de la reine ; à part son fils, bien entendu, mais celui-ci brillait par son absence.

Officiellement, il tenait le rôle de conseiller particulier de la couronne et la plupart des courtisans ignoraient tout de ses réelles activités. Ceux qui le savaient, bien souvent parce qu'ils avaient un jour ou l'autre eu affaire à lui, avaient également appris à cette occasion pourquoi ils devaient se taire.

Un jeu de rois et de pions 1 - Nous qui sommes des ombresWhere stories live. Discover now