8. Salade niçoise (1/3)

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Evidemment Chloé n'avait pas moufté quand je lui avais imposé la présence de Marion pendant cette journée dans le sud. Elle était aussi stressée que moi car maintenant qu'elle s'était fourvoyée, il ne fallait pas que son fiancé apprenne la supercherie. Elle avait tout intérêt à ce que le maquillage tienne et assumait donc pleinement sa connerie.

Quant à Marion, elle voyait plutôt ça comme une expérience anthropologique. Elle avait hâte de rencontrer ces deux spécimens, ces « drôles d'oiseaux » comme elle disait. Marion était débarrassée de ses partiels du premier semestre et elle se fichait de louper quelques heures de cours pour cette virée improvisée et soudaine, tous frais payés. C'était elle qui me rassurait dans le taxi alors que je vérifiais encore et encore mon reflet dans le miroir :

– Ne t'en fais pas, dès que je vois que ton nez se fait la malle, on s'absente aux toilettes.

J'attachai mes cheveux et remontai les manches de mon pull vert tout en demandant :

– Et si je sue comme un goret et que le fond de teint dégouline ?

– Je connais mes produits, c'est pour les professionnels. Tu crois que les maquilleurs ont fait comment avec Kate et Leonardo dans l'eau pendant des mois ?

Elle marquait un point. Par contre le My Heart Will Go On de Céline me vint en tête et ça ce n'était pas possible (pourtant je n'y pouvais rien, la musique de James Horner était imprégnée en moi autant que les personnages).

Marion ajouta :

– Nous sommes trois contre un. Chloé est notre complice après tout, elle nous aidera à te couvrir.

– Le pauvre quand j'y pense...

– Le pauvre ? Mouais, j'attends de voir l'animal.

Le chauffeur eut la courtoisie de ne pas relever notre échange peu commun. Nous arrivâmes à l'aéroport. Impliquer Marion, et donc un tiers plutôt neutre dans l'affaire (si ce n'était son rôle de maquilleuse), me serra le ventre. Avec le recul, je commençais à culpabiliser. Faisais-je quelque chose de mal ?




J'avais pris ma valise, moyen plus simple pour enfourner tout mon barda et celui de Marion. Il y avait aussi des vêtements de rechange et ma trousse de toilette car je dormais chez Laura et Anne le soir même. Elles attendaient impatiemment le compte-rendu de ma journée. Marion gardait l'appareil photo et ma sacoche d'ordinateur portable.

Je levai les yeux vers les ailes de l'avion qui allait nous conduire sur le lieu du mariage. Chloé et Dimitri se tenaient au pied de l'escalier d'accès, tel un couple présidentiel. Ils en avaient l'allure.

– Holy Shit, murmura Marion.

– Bonjour.

Je la présentai :

– Marion, la stagiaire.

La veille au téléphone, Chloé et moi avions convenu que ce serait le meilleur moyen de justifier sa présence. Dimitri ne sembla pas surpris, sa fiancée l'en avait informé.

Nous nous installâmes. Ma vie depuis ce contrat avec Chloé Desneiges semblait se remplir de clichés et ça ne semblait pas s'arrêter. Fauteuils en cuir, habitacle avec présence de bois, bouteille de champagne, j'étais en plein dedans. Le trajet fut professionnel, j'avais ouvert mon ordinateur et parlais avec eux, pendant que Marion acquiesçait, montrant son investissement. J'admirai son aplomb, elle donnait bien le change.

En moins de deux heures, le temps maussade de Paris laissa place à un ciel d'un bleu immaculé lorsque l'avion atterrit sur le tarmac niçois. Le chauffeur du propriétaire du manoir nous attendait déjà. Moins de trente minutes de trajet nous séparaient du lieu.

Le centre-ville s'éloignait de nous à mesure que nous montions vers les hauteurs. Enfin, Chloé s'exclama :

– Nous y voilà !

Au-dessus de l'énorme portail d'entrée, on pouvait lire : « Domaine des Anges ». Je décelai de l'ironie dans cette appellation car toute cette histoire n'avait rien d'angélique.

Bref, impossible de voir la propriété d'ici. La voiture remonta un sentier entre les arbres. J'aperçus de loin la surface du lac. Le manoir se révéla finalement, après un dernier virage. C'était à tomber, encore plus grandiose que sur les photos. Elles ne rendaient pas justice à l'imposante architecture qui jetait son ombre sur la pelouse, ni à l'aspect de la pierre taillée. Le chauffeur se chargea d'amener nos bagages dans le vestibule pendant que nous admirions tous les quatre la façade ensoleillée. Marion prenait déjà des photos.

Chloé me demanda :

– Alors Amanda ? Qu'est-ce que vous imaginez là, tout de suite ?

Mon cerveau en mode « organisatrice de mariage » s'activait comme un fou. Que j'allais m'amuser pour mettre en valeur ce bijou qu'ils avaient choisi. Au moins j'avais ça pour moi.

– Là, répondis-je, je vois une arche végétale qui libère des bulles de savon colorées au moment où vous passez dessous.

– Oh, oui ! C'est d'un goût exquis ! piailla Chloé en sautant au cou de Dimitri. Elle est parfaite notre Amanda !

Puis Marion me chuchota :

– On devrait faire une légère retouche, ça fait plus de quatre heures.

Le propriétaire vint nous accueillir, s'excusant de ne pas avoir pu arriver plus tôt (un problème avec une porte l'avait retenu). Marion annonça une envie pressante et il nous indiqua le chemin des toilettes. Je pris ma valise au passage.

Devant un miroir bordé de dorures, aussi grand que la porte-fenêtre de mon balcon, Marion rectifia les défauts de mon maquillage.

– Ça tiendra encore quatre heures, on fera une dernière retouche avant de reprendre l'avion.

– Alors ? demandai-je, impatiente d'avoir son retour.

– Je ne m'attendais pas à ça. L'idée de Chloé est démente, je te le dis sincèrement, mais bon j'ai accepté d'en être et pour ce que ça me rapporte, je ne vais pas cracher dans la soupe.

– Dis-moi le fond de ta pensée.

– Je sais pas... je m'attendais pas à ce profil, ils ont l'air normal, pour des riches disons... Je pensais qu'elle serait déjantée du bocal, exubérante ou castratrice, mais là... C'est déstabilisant. Enfin bref, pour ma part, je te dis, pas besoin d'être si stressée. Continue comme ça, prends-le pour un jeu.

Oui, enfin, ce que Marion ne savait pas c'était mon lien avec Dimitri, et mes sentiments contradictoires qui dansaient la java dans mon esprit.

Chloé frappa à la porte.

– Tout va bien, les filles ?

Cela faisait plus de dix minutes que nous étions parties.

– Oui, on vous rejoint.

Je me dépêchais de sortir, pour ne pas éveiller de soupçons auprès de Dimitri.

– Ah bien vous en avez mis du temps, nota justement le futur marié.

Le pire, c'était que j'avais réellement envie d'aller aux toilettes maintenant.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant