28. Chute (2/5)

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Devant les vestiaires, je chuchotai à Anne et Marion, au cas où des oreilles indiscrètes ne traînent :

– Alors ?

– Aucun laxatif, pas même dans les affaires des vieux, répondit-elle.

– Moi j'ai trouvé ça, déclara Marion. Ma mère en a déjà pris, c'est pour les ballonnements : inoffensif, mais ça te fait roter comme un volcan en éruption après des millions d'années en sommeil.

– T'es sûre de toi ? demanda Anne.

– J'ai lu la notice.

– Tu vas en faire quoi ?

– Laura ! appelai-je.

Elle qui passait avec un plateau s'approcha.

– Apporte un verre d'eau à la mère de Chloé, dis-je.

Laura me fit un clin d'œil et repartit.

Puis, je me mis à sourire : le poney relâché commençait à manger la nappe de la grande table intérieure avec les boites aux rubans dorés.

– Anne, Marion, allez faire un petit tour de barque sur le lac. Il ne faut pas que nous soyons témoins de ce carnage, Chloé rejetterait la faute sur l'une de nous. Et puis il n'y a pas de raisons que vous ne profitiez pas du cadre.

– Vas t'en aussi, conseilla Anne.

Je retournai dehors, le plat principal était déjà servi. C'était plein de vie, de rires, de discussions. A table, madame Desneiges monopolisait toujours la parole. Je n'avais toujours pas entendu la voix des deux pères. Dimitri s'était relevé pour se mélanger aux autres. Yohann me lança un regard. J'allai vers lui :

– Alors, ce verre ? demandai-je.

– A la bonne heure ! dit-il en me servant un verre de vin blanc.

Nous trinquâmes et je bus cul-sec.

– Ne dites rien, je suis en service, répliquai-je en repartant.

Soudain, un enfant qui revenait des toilettes courut vers Chloé. Je crus qu'elle allait s'étouffer en l'écoutant murmurer à son oreille. Je me doutais qu'il parlait du poney.

– Dimitri ! l'entendis-je dire.

Il ne fallait pas que les invités s'en rendent compte. Je m'arrangeai pour qu'aucun contact regard soit possible avec eux, ils devraient soit me faire appeler, soit se débrouiller eux-mêmes. Mais une autre dame cria :

– Le poney mange les cadeaux !

Je ne pus pas ignorer l'annonce.

– Restez assis, messieurs, dames, je m'en occupe, mangez. Une tentative d'évasion, rien d'autre, lançai-je avec humour.

– Oh, Dimitri, tu ne sers à rien ! J'y vais ! marmonna Chloé en me suivant.

J'accélérai franchement le pas pour découvrir une table de cadeaux ravagée.

C'était trop facile.

– Vite ! Amanda ! Où est le palefrenier ?! couina Chloé.

– Je suis là ! dit-il, sa serviette encore coincée dans son col en sortant du réfectoire.

– Non, mais vous avez vu ?! Qu'est-ce qu'il fout là, ce poney ?!

– Il n'y est pour rien, dis-je. Un enfant vient de m'avouer qu'il l'avait détaché pour jouer avec.

– Sans la présence d'un adulte ?! s'insurgea-t-elle.

Je savais que mon intervention était bancale, mais le poney huma l'odeur du foin que j'avais déposée sur sa robe et trotta vers elle.

– Mais qu'est-ce qu'il fait ?! Arrêtez-le ! Dimitri !!!

Chloé courut pour lui échapper. Elle se rua dehors vers son mari. Le poney, tranquillement, n'accélérait pas mais gardait son objectif.

– Oh là, tout doux, dit Dimitri.

Il caressa son encolure et la crinière.

– Qu'est-ce qu'il me veut ?

– Mais faites quelque chose ! piailla madame Desneiges.

– Vous ne risquez rien, affirma le palefrenier qui peinait à nous rattraper à cause de son embonpoint.

Mais le poney contourna Dimitri et respira la robe de Chloé, se collant sur ses jambes et hennissant.

– Mais je m'en fous ! Dégagez-le ! Dégagez-le !

Elle courut plus loin, comme une fillette poursuivie par une armée de guêpes.

Le petit canasson se fit un plaisir de lui respirer les cheveux au moment où elle se retrouva par terre, ayant planté son talon dans le sol.

Tiens, c'est pour mon évasion de chez toi, ça !

Je jubilais.

Le palefrenier agit rapidement, tira sur la corde et ramena le poney dans le parc. J'aidai Chloé à se relever avant Dimitri. Elle se laissa faire mais je jurai que sa colère était dirigée contre moi. Pourtant, un sourire mauvais éclaira son visage, je n'aimais pas du tout cette vision.

Cette fois, ce fut Yohann qui lui sauva la face :

– Voilà, c'était la première animation de la soirée !

Un rire franc parcourut l'assistance et ils applaudirent Chloé, le palefrenier et Yohann pour cet intermède accidentel mais rigolo.

Laura, Marion et Anne me regardaient, nous nous retenions de rire, la vision de la mariée s'enfuyant en gémissant et se retrouvant au sol nous poursuivait.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant