13. L'anniversaire d'Anne (2/3)

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Anne souffla ses trente bougies. J'avais eu le temps de prendre en photo le splendide gâteau et son inscription colorée toute en sucre « Joyeux Anne-Iversaire ». Je l'ajoutai à mes posts Instagram avec un filtre qui soulignait le glaçage miroir.

Il était presque minuit, quelques invités dansaient sur la piste, d'autres groupes parlaient et mon regard se porta sur les enfants, encore greffés sur les smartphones de leurs parents.  Si les adultes semblaient s'amuser, je m'étonnais du manque d'interaction entre les plus petits, séparés par cet écran.

Signe du temps ou non, c'étaient des réflexions récurrentes. Dans les soirées ou évènements entre amis ou en famille, j'avais noté un grand changement. Au même âge, dans les fêtes de famille, les smartphones n'existaient pas et nous étions les plus vivants et les plus bruyants. J'avais hâte de retrouver mes cousins, mes amis et parfois même des enfants inconnus. Nous jouions à nous attraper, à nous cacher, dérangeant souvent les adultes qui nous chassaient des cuisines, des salons ou nous disaient de ne pas interrompre leurs conversations, puis nous riions encore et encore. A la fin des soirées, nous cherchions quoi faire malgré la fatigue. Nous avions le luxe de nous ennuyer. Ensemble et vraiment.

L'ennui était devenu bien rare. Comme la plupart, j'étais maintenant très souvent occupée à lire des articles, parcourir des blogs ou des profils, ou encore jouer sur mon smartphone. Le flot d'informations énormissimes qui se déversait chaque heure ne laissait plus aucune place à l'ennui. En tout cas, pas de celui qu'on expérimentait dans nos jeunesses.

Encore adolescente, je me plaignais des dimanches où j'avais l'impression de m'ennuyer à mourir, de constater que rien ne pouvait être fait : je n'avais plus de pile dans ma Game Boy Color, j'avais terminé mes jeux de Pokémon, Mario ou Harry Potter, (les cartouches trainaient dans mon pot à crayon) je n'avais pas de nouveaux livres dans ma bibliothèque, aucun programme à la télé et mes parents étaient occupés à leurs tâches. En plus, Léo était trop jeune pour m'intéresser et vice versa.

Et pourtant j'avais bien conscience aujourd'hui que c'était un luxe. J'étais heureuse d'avoir connu l'ennui, il ne rendait que les moments de vie plus intenses. Je pouvais affirmer qu'ainsi je n'avais jamais été blasée. Alors quelque fois, je m'octroyais même du temps pour m'ennuyer. Mon smartphone chargeait dans l'autre pièce et moi je contemplais les arbres de ma fenêtre, laissant mes pensées se disperser. 

Au collège, je n'aurais pas pu passer autant de temps sur un portable. Rien que pour communiquer avec Laura le week-end en mode T9 sur le Nokia 3310 de ma mère, c'était folklorique. Le temps où les sms illimités n'existaient pas, où il fallait aller à l'essentiel en synthétisant au maximum. Du genre : « Cc Lora. G vu M. Créton o hyper u 2 Dijon. Ça chanj 2 le voir san jogging. Jte racontré 2m1. Et oubli pa 2 ramené ton disk 2 Linkin Park. ». Pour aller sur internet, c'était aussi tout un truc, avec le WAP, tout était très limité, sans réel accès aux sites internet. A part s'amuser avec les sonneries et le jeu du serpent, ça n'allait pas plus loin.

Je ne savais pas quoi penser de ces gosses si peu dans la communication directe. Nos aînés disaient « c'était mieux avant ». Ça me semblait être un cycle éternel.  Je savais qu'il n'y avait pas de vérité, mais j'étais heureuse d'avoir vécu cette jeunesse-là.

– Tu veux une part ?

Mes pensées philosophiques s'évanouirent. Marion venait de me ramener une assiette et s'assit en face de moi. Je ne pouvais refuser un si bon fraisier.

– Merde, la pièce-montée ! me rappelais-je. J'ai failli oublier, Chloé m'a envoyé de nouvelles recommandations, hier. Il faut que je transmette aux traiteurs.

– Lève un peu le pied, Amanda. T'es pas au boulot.

Anne et Laura vinrent nous rejoindre.

– T'es contente de ta soirée ? demandai-je à mon amie qui confirma sa joie.

– Bon, je vais faire un dernier tour de piste, déclarai-je avant de rejoindre le dancefloor.

Je dansai jusqu'à m'étourdir, oubliant avec plaisir mes obligations professionnelles et mon fantasme ridicule pour Dimitri.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant