22. Des souvenirs de Londres (2/4)

9.8K 1K 56
                                    




Laura ne pleurait pas non plus, mais fumait avec vivacité, ses doigts remuaient sans s'arrêter.

– Un futur petit Laur-Anne, déclarai-je, clin d'œil à une ancienne conversation sur le bébé qu'elles adopteraient un jour.

– J'espère...

– Je suis certaine que ça va marcher ! Aucune raison ne justifierait que toi et Anne ne deveniez pas mères.

– C'est ce qu'ils nous ont dit. Les étapes et les « enquêtes » indiquent que nous avons toutes nos chances... Mais, c'est long, ils veulent recommencer certaines procédures...

– Tout ira bien. Il te faut juste garder patience. A ce jeu, tu es championne.

J'embrassai sa joue et son sourire refit surface.

– Dis, Laura, on pourrait se faire un week-end entre filles avec Anne.

– Oui ?

– Oui. Allez faire vos valises, on part demain matin.

– Là, comme ça ?

– Pourquoi pas ? Vous avez des trucs de prévus ?

– Non... Okay.

– Super...

– Eh... attends ! dit-elle en me retenant le bras.

Je compris qu'elle voulait revenir sur son monologue, elle avait l'air navré de celle qui éprouve des remords. Je déclarai avant elle :

– Plus un mot. Ne t'excuse pas, tu m'as aidée.

Elle écrasa sa cigarette et vint annoncer à Anne que nous prenions le large.

Cette escapade improvisée renoua plus fort le lien que nous avions. J'avais roulé au hasard et réservé une chambre dans la campagne normande. C'était loin de tout. Nous passâmes le samedi et le dimanche à nous promener, à jouer. Un week-end de rêve où j'oubliai presque la raison de ma colère et de ma frustration.

Un week-end qui me rappela un autre séjour avec Laura, quelques années plus tôt...


C'était au mois d'avril, lors de notre dernière année au collège. Exceptionnellement, deux classes de troisième allaient pouvoir se joindre au séjour linguistique des classes de cinquième. Ce fut dans un car immense que nous fûmes menés à l'embarquement du ferry à destination de Londres.

Inutile de vous décrire l'effervescence qui y régnait. Nous allions passé cinq jours dans la capitale anglaise. Tout semblait parfait. Un : on partait en voyage. Deux : toute notre classe avait pu venir. Trois : il prévoyait du beau temps. Seul point noir, Tiphaine-la-vérole se retrouverait avec Laura et moi dans la même famille d'accueil.

Nous n'avions pas protesté lorsque le prof nous l'a imposé. Par contre cette pouffe nous avait regardé de haut. Et j'étais même quasi sûre de l'avoir entendu dire à ses copines : 

– Trop dégoûtée de me retrouver avec ces deux connes... 

C'est réciproque !!!

Enfin, pour l'heure, Laura et moi profitions de l'instant. Déjà à bord du bateau, malgré la fatigue du trajet (nous étions debout depuis 5 heures du matin), nous nous extasions de tout : les magasins à bord, les restaurants à bord... J'avais envie de tout dépenser. Laura avait acheté des dragées de Bertie Crochu.

Lorsque les professeurs qui nous accompagnaient nous avaient dit que les côtes anglaises étaient visibles, j'avais entraîné Laura sur le pont en courant entre les passagers. C'était la première fois que j'allais toucher un sol étranger.

Nous regagnâmes le car pour quitter le ferry. Le silence commença à se propager parmi les élèves. Un prof s'acharnait à faire fonctionner un malheureux micro pour annoncer que les familles seraient à la sortie du car, que nous serions alors dispatchés et que nous partirions avec eux avant de se retrouver le lendemain matin pour la première sortie.

Comme je savais que j'étais avec Laura, j'étais moins stressée. A deux, nous nous sentions plus fortes. Tiphaine s'était rapprochée de nous et faisait moins la fière à quelques minutes de la fin du trajet.

Elle se rattrapa vite le soir-même, une fois que notre hôte ne l'impressionnait plus. Nous nous sommes retrouvées chez Miss Brown dont la bonhomie transperçait la barrière de la langue. Son physique et son attitude transpiraient la sympathie. Son nez en trompette, sa voix chantante et ses cheveux courts tout bouclés étaient rassurants. Elle avait la fibre maternelle.

Miss Brown habitait dans un quartier résidentiel typique de la banlieue de Londres. Sa maison faisait partie d'une rangée d'autres identiques, faite de briques claires, avec un niveau en sous-sol, quelques fleurs devant la grille d'entrée.

L'intérieur était cossu, propre et sentait bon les odeurs de cuisine. Miss Brown était retraitée et vivait seule. Comme aucune de nous ne savaient aligner quatre mots d'anglais corrects à la suite, nos échanges furent très limités et les incompréhensions monnaie courante.

Malgré tout, nous nous sommes senties bien tout de suite. Dans la chambre, Laura nous abrutissaient d'anecdotes sur Harry Potter. Tiphaine avait dit le premier soir :

– Elle se tait jamais ta copine ? avant de mettre ses écouteurs.

Les jours suivants, nous fûmes séparés en plusieurs groupes pour découvrir les lieux emblématiques de Londres. Je fus marquée par le symbole de Big Ben, le bleu de Tower Bridge, la majesté de la Cathédrale Saint-Paul, les écureuils de St James Park, les allées de Piccadilly Circus, mais aussi l'odeur particulière que l'on sentait dans les rues lorsque l'on passait près d'un stand de Fish & Chips et de hot-dog. Par les pigeons aussi.

Bercée depuis longtemps par Mary Poppins et Peter Pan, j'y trouvais mon compte. Laura, elle, me donnait plutôt des références à propos de son sorcier préféré.

Le voyage se déroulait bien, nous oubliâmes complètement notre chez-nous, les préoccupations habituelles comme le brevet. Je découvrais des élèves plus jeunes que nous ne côtoyions jamais. Le voyage forme la jeunesse, le voyage rapproche, le voyage vous ouvre l'esprit. J'y avais pris goût.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant