24. Le papier (1/5)

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Je sentis des gouttes de sueur perler dans mon dos. J'avais l'impression d'avoir reçu un coup dans le ventre, celui qui vous coupait la respiration et pouvait même vous faire vomir. Je me demandais bien comment mes jambes pouvaient encore me supporter.

Puis mon cerveau décida de bousculer tout ça et j'eus ensuite envie de rire.

Avais-je bien entendu ? Son premier béguin ?!

Le plaisir de l'entendre prononcer cette phrase ne dura pas longtemps. La paranoïa s'empara de moi.

Pourquoi m'avait-il emmenée ici ?

C'est une caméra cachée ?

Il sait, il m'a démasquée...

Je tournai ma tête vers lui. Dimitri regardait encore la photographie. J'allais dire quelque chose, sûrement me confier mais c'est lui qui poursuivit :

– Elle ne l'a jamais su... C'est drôle, je l'ai recroisée il y a quelques temps.

– Oui ? avais-je répondu d'une toute petite voix.

– Elle a beaucoup changé mais je l'ai reconnue.

Il jouait avec mes nerfs.

– Enfin, j'ai essayé de la joindre mais elle m'a donné un faux numéro...

Mon cœur va exploser.

Pourquoi me disait-il tout ça, sa déception, cette confession ?

– Dimitri, je...

– Enfin... des histoires de gosses. Allez on s'en va, dit-il sans m'avoir entendu.

Le soleil déclinait et l'obscurité commençait à tomber. Nous ne pourrions plus rien voir et pas question d'allumer les lumières.

Je le suivais en pilote automatique. Il continua de parler, derrière moi, d'une voix plus assurée, détachée de la mélancolie qu'il avait ressenti plus tôt :

– Encore un futur marié qui flippe et vous oblige à entendre ses plaintes existentielles et ses histoires de cœur. Pathétique n'est-ce pas ?

Ce n'était pas si courant. Enfin, homme ou femme pouvaient très bien avoir des grandes remises en question avant le mariage : la peur de l'engagement, la peur de louper cette journée censée être le « plus beau jour de leur vie », la peur de s'être perdu en chemin, la peur du regret... Mais ce n'était pas si courant qu'ils choisissent leur organisatrice de mariage comme psychanalyste. A la limite, n'importe quelle personne dans un bar, une soirée faisait l'affaire.

– Je trouve plus pathétique les personnes qui n'osent jamais se remettre en question, ni baisser les armes et préfèrent faire comme si tout allait toujours bien, se complaisent dans l'hypocrisie et détruisent ceux qui les aiment au bout du compte par ce qu'ils étaient malheureux, ou simplement cons.

Impossible de me rappeler sur quel ton j'avais sorti cette phrase, ni la réaction de Dimitri.

Revenue sur le stade, dans la nuit plus calme et douce, je pris place sur un banc. Il vint s'asseoir à côté de moi.

Nous pouvions voir tout le collège. Combien de fois avais-je regardé ce bâtiment ? Presque tous les matins de septembre à juin, en arrivant sur le parking avec mon cartable Eastpak sur le dos, par tous temps et pendant quatre ans. Là, j'étais revenue des années plus tard, accompagnée de mon premier gros crush, qui venait d'avouer que la jeune Amanda Laracello l'intéressait sans savoir qu'elle se tenait sur le même banc que lui.

Combien de fois l'avais-je regardé, lui ?

– Vous êtes pensive ? Je vois que vous êtes songeuse. C'est à cause de ce que j'ai dit ? Sur la fille ?

– Vous disiez que vous aviez essayé de la joindre après l'avoir recroisée. Mais... vous allez vous marier...

Je n'avais plus peur de mettre les pieds dans le plat. Je ne savais pas encore ce que je ferai de sa réponse. Mais s'il s'avérait qu'il avait des pensées d'infidélité, peut-être oserais-je lui avouer toute la supercherie. Et en même temps, je ne pensais pas qu'il puisse aller avouer son envie d'aller voir ailleurs, enfin d'aller voir Amanda Laracello, même si ses sentiments étaient nobles, Dimitri était pris...Et en même temps, je n'étais pas en position de juger ce qui était juste, j'étais prise dans la toile de Chloé, dans le mensonge que nous avions monté depuis des mois, j'étais la femme la plus ridicule du monde.

– Comprenez-moi, je me suis confié à vous car parler m'a fait du bien. Oui, comme tout adolescent, j'ai eu un premier amour. Et comme beaucoup d'autres, une attirance que je n'ai pas avoué, à l'âge où on est encore très jeune, timide. On ne sait pas comment s'y prendre, et pour moi, à treize ou quatorze ans, parler sentiments avec mes parents ou mes potes, c'était impossible. Les parents pensent que ça ne veut rien dire, que l'on ne sait pas encore vraiment ce que c'est l'amour et malgré notre bonne entente, ce ne sont pas des choses que je veux exprimer avec eux. Les potes n'auraient pas compris, sans prétention, je sais que j'étais déjà plus mature qu'eux sur cette question. Puis j'ai grandi, très vite. Chloé est tombée amoureuse de moi l'année suivante, la découverte du couple était différente de ce que j'imaginais, mais c'était intense, concret. J'aimais Chloé, enfin j'aime Chloé.

Il s'était repris. Dimitri, finalement, essayait de se convaincre qu'il l'aimait toujours.

Mais je voulais qu'il continue d'en parler, pour voir jusqu'où sa conviction pouvait aller.

– Chloé m'a avoué que sa jalousie avait failli abîmer votre couple.

– Ah bon ? Elle n'est pas du genre à se confier si facilement, et surtout sur ce point-là, je suis surpris d'elle... Vous avez un pouvoir sur les gens, vous.

Le pouvoir de rien du tout, Poisse-Woman à la limite !

– C'est un défaut sur lequel elle travaille, et j'en suis fier, elle part de très loin. Mais, oui, à un moment c'était devenu invivable. Je ne sais pas, ça ne me regarde peut-être pas, mais avec Marion, vous n'avez pas de problème ?

Holy Molly ! Marion ? Merde, le baiser-gouda...

Je ne réagis pas. Enfin pas verbalement. Dans ma tête, je me disais juste qu'il pensait que j'étais lesbienne.

Sa confiance s'explique...

Mes fausses idées comme quoi j'étais démasquée tombèrent définitivement à l'eau.

Le silence s'invita quelques secondes. Enfin, en regardant vers le stade et le gymnase, il me dit, comme un adolescent :

– Je vais me remettre au basket !

– Oui.

– Amanda ? Ça va ?

– Mal au ventre.

– Oh, repartons vite dans ce cas, je vous ai assez trimbalé comme ça.

La cerise sur la pièce montée (édité)Where stories live. Discover now