10. Dancing girls (1/3)

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Laura et Anne avaient eu droit au récit du mini-séjour au Domaine des Anges. Ma meilleure amie riait tellement qu'elle avait mal à la gorge et toussait comme un fumeur en fin de carrière. Une énième soirée mémorable en leur compagnie.

Les jours passaient et bien sûr je m'étais repassé la scène de la chambre plusieurs fois. Enfin, il fallait bien que je retourne à la réalité, ma vie ne se résumait pas à ces quelques heures hebdomadaires en compagnie du couple, heureusement !

Ce que j'adorais dans mon métier, c'étaient les longs moments où je travaillais seule. En dehors des rendez-vous avec les clients j'organisais mes journées, je pilotais seule les décisions et partais à la recherche des meilleurs prestataires et produits. Ma tête se vidait de tout problème, absorbée dans une réflexion apaisante, plus efficace encore que de tricoter avec mes bras ou colorier des mandalas. A la fin de ces journées, je me couchais heureuse.

Cet après-midi-là, je marchais sous un ciel de lait. Les rues étaient chargées. La crue et le Zouave n'étaient plus sur toutes les lèvres, nous étions enfin sortis du pétrin. Non, désormais c'était la neige. On se précipitait sur les sites emblématiques de la capitale non plus pour juger de la hauteur de l'eau mais pour cette couche de sucre glace qu'on avait versé dans la nuit. Instagram, Facebook, Twitter et Snapchat étaient submergés d'images au décor hivernal que l'on ne voyait plus si couramment.

Forte et sûre de moi, je me sentais sexy dans mon duffle-coat blanc cintré : Amanda Laracello était entière. J'avais un peu forcé sur le maquillage, dans un geste euphorique face au miroir. Disons que j'étais très apprêtée pour ce que j'allais faire : je me rendais à la meilleure fleuristerie de tout Paris, celle de René Mallet. Diplômé de l'Ecole des Beaux-Arts, il était devenu styliste et designer floral.

Son commerce semblait tout droit sorti d'un conte enchanté. La façade aux boiseries bleu-lavande était encadrée par des compositions vertes et blanches parfumées et quelques bouquets colorés. La vitrine laissait deviner un intérieur cossu, chaleureux et arrangé par un esprit créatif. Le mélange des fragrances étourdissait les narines.

Il me fallait commander l'essentiel des décorations végétales pour le mariage. Je savais ce que je voulais. Pour le vin d'honneur en extérieur, l'abri serait recouvert d'un entrelacs de roses blanches et de jasmin étoilé. Des lanternes seraient suspendues par des chaines d'argent dans des bulles de verre. Le même modèle serait appliqué sur le kiosque, sur le tronc des saules-pleureurs et en version « chemin de table » sur la table des mariés.

Mais avant d'entrer dans la grande boutique, et malgré l'air glacial, je ne pouvais m'empêcher, comme chaque fois, d'observer les nouvelles compositions extérieures. Je n'étais pas la seule, un couple prenait des photos de la devanture et trois autres clients détaillaient les créations florales à l'abri de l'auvent. Soudain, je reconnus l'un d'eux et posai ma main sur son épaule :

– Coucou.

Le jeune homme tiré à quatre épingles se retourna et sourit dès qu'il me reconnut :

– Amanda ! Quelle plaisir !

Il me fit la bise de manière appuyée, ses branches de lunettes orange frôlant ma peau.

– Tu es radieuse, magnifico !

– Et toi alors, cette moustache te va bien, Ernest. Alors tout se passe bien à l'agence ?

Ernest était plus jeune que moi. Il travaillait à l'agence Elite, l'une des plus influentes dans le monde du mannequinat. Il n'avait que dix-huit ans lorsqu'il m'avait repéré à l'Université de Dijon. C'était alors le plus jeune chasseur de belle-têtes de l'agence mondialement connue.

Par force de persuasion, il avait réussi à me faire compter parmi les modèles d'Elite et j'avais eu des contrats entre mes vingt et vingt-deux ans dont les cachets m'avaient permis de lancer mon affaire. Uniquement modèle visage pour des photos et non pour les défilés, j'étais bien loin des mensurations « porte-manteau » et c'était tant mieux. J'étais reconnaissante mais n'avait pas voulu poursuivre, j'étais toujours mal à l'aise, trop détachée de cet univers et mes relations avec les autres modèles n'étaient pas au beau fixe, j'attirais trop de jalousie et l'univers toxique eut raison de moi.

Lorsque mon contrat est arrivé au bout, je ne l'ai pas reconduit, malgré des propositions de cachets très attrayants. Néanmoins je considérais cette expérience comme intéressante, un aventureux hasard dont je m'étonnais encore.

– Oui, ça bouge beaucoup. Je dois avouer qu'avec l'affaire Harvey Weinstein, nous sommes tous vigilants. On a proposé des réunions débat avec les modèles et nous avons choisi de ne plus les envoyer seules sur les shootings. Et toi alors, ton affaire c'est super ! Bravo !

Nous échangeâmes d'autres mots, claquant des dents au bout d'un moment.

– Appelle-moi pour prendre un café, je ne vais pas te retarder plus longtemps, on va geler sur place. T'as bien mon numéro ?

– Oui, bien sûr.

Nous nous embrassâmes et comme les autres fois où nous nous séparions il déclara :

– Quand même... arrêter ta carrière de mannequin. T'aurais été tellement loin, quel dommage...

J'entrais dans la boutique, complètement congelée, mais encore plus victorieuse que le matin même. Si j'avais un problème d'ego, je savais qu'Ernest était de ceux qui sauraient me le regonfler. Je me demande la tête qu'il aurait eue si je lui avais parlé du mariage et de la comédie des apparences à laquelle je me prêtais.

La cerise sur la pièce montée (édité)Where stories live. Discover now