La cerise sur la pièce montée (édité)

27. Le mot de trop (3/3)

Il n'en fallait pas beaucoup plus pour me faire sortir de mes gonds. Je n'étais pas un paillasson. J'étais Amanda Laracello, et Chloé était déjà allée trop loin. Le dérapage pouvait être imminent.

Respire Amanda, calme-toi...

La suite du vin d'honneur se déroula sans encombre. La chaleur ne baissait pas. Les joues des invités viraient au rouge, les effets de l'alcool se voyaient chez certains. Faut dire que le soleil tapait quand même sur la cafetière, comme disait la grand-mère Desneiges.

La mère de Chloé s'esclaffait comme une hyène. Un peu de rouge à lèvres était resté sur ses dents de devant. Personne ne lui faisait remarquer, tant mieux.

Mon smartphone vibra, m'indiquant que le repas devait bientôt commencer. J'ordonnai de débarrasser le buffet du vin d'honneur, ramasser les bouchons et autres détritus tombés au sol. Puis je passai en cuisine retrouver la brigade du chef étoilé. Les entrées étaient prêtes.

Sous une longue tonnelle blanche, décorée avec goût, chacun alla trouver sa place. L'orchestre continuait d'entonner ses morceaux enchanteurs.

Je m'en allai vérifier mon planning à l'intérieur et reprendre un verre d'eau. Anne et Laura avaient terminé leur part du job. Anne me dit :

– Moi qui n'avait jamais vu Dimitri, je dois admettre que je comprends pourquoi il t'a fait tourner la tête.

Je n'avais rien à répondre.

– Je vais vous raccompagner, mes deux blondes. Le temps que tout le monde s'installe, passons par derrière.

Mes deux amies comptaient passer l'autre partie de la soirée dans un restaurant à Nice. Elles allaient récupérer leur voiture discrètement. J'ouvrai la porte mais nous entendîmes la voix de Chloé qui discutait avec Gwen qui clopait :

– Pour l'instant, c'est parfait, tout se déroule impeccablement bien.

– Rien à dire, tout est parfait, elle s'est donnée à fond !

– Mouais, enfin y'a quand même une chose qui ne me plaît pas, c'est qu'elle a ramené ses deux gouinasses !

Je devins blanche et me retournai vers Anne et Laura et leur fit signe de rentrer à l'intérieur, sans faire de bruit. Marion aussi avait entendu.

J'étais mortifiée pour elles. Malgré moi, je serrai les poings et mon regard se durcit.

– Ecoute, Amanda, ne t'en fais pas. Cette saloperie n'est rien. Ce qui sort de sa bouche ne m'atteint pas.

Je savais qu'elle essayait de me calmer.

– S'il faut quelqu'un pour lui faire bouffer le crottin, je me dévoue, déclara Marion comme si elle proposait l'aide la plus simple du monde.

– Amanda ?

Dans leur regard, malgré ce qu'elles affirmaient, Anne et Laura étaient blessées. Cette injure lancée avec dégoût leur rappelèrent les moments les plus infâmes d'agressions homophobes qu'elles avaient déjà subies.

Blessées. Chloé les avait blessées. Elle avait franchi la ligne rouge.

Je déclarai, après m'être reprise :

– Vous voulez rester un peu plus longtemps, les filles ? Venez !

Je repartis en direction des convives.

– Amanda ? Mais qu'est-ce que tu fais ? demanda Laura.

Chloé m'avait humiliée dès le début. J'avais tout vécu, tout enduré. Ce maquillage, ce déni de mon identité, sans parler de l'affaire Dimitri. Il était temps que je me rebelle, défende mes principes et surtout mes meilleures amies. Ça tombait bien, j'avais été payée pour mes services, l'autre partie ne m'était pas indispensable pour survivre.

On ne touchait pas ma famille. Je commençai à rire nerveusement. Je voulais chasser ce regard triste dans les yeux de Laura.

– Amanda ?

– Elle va faire une connerie !

Je déclarai avec rage et fermeté :

– Nous sommes intelligentes. La soirée n'est pas finie. On va lui pourrir son mariage à cette connasse !

Notes à moi-même :

1. Rendre visite à mes amis les poneys.

2. Trouver un laxatif.

3. Réveiller le tigre en moi.   

This is Me, Keala Settle

traduction du refrain :

« Quand les mots les plus cinglants voudront m'abattre

Je les noierai sous le déluge

J'ai du courage, j'ai des blessures

Je suis telle que je dois être, je suis moi

Prends garde, j'arrive

J'avance à mon rythme

Je n'ai pas peur d'être vue

Je ne m'excuse plus, je suis moi »