12. Cours particulier (2/4)

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Nous étions en troisième et une atmosphère légère s'était emparée de toute la classe. Les beaux jours arrivaient, les vœux pour l'année de lycée prochaine s'affirmaient chez les élèves. Nous nous sentions grands et responsables en nous comparant à toutes les autres classes en-dessous de nous et même les profs se relâchaient.

Le brevet imminent ne nous faisait pas très peur, les résultats du blanc avaient été corrects et notre prof principal avait assuré que nous l'aurions tous. Inconsciemment, nous nous rendions tous compte qu'ils s'agissaient des derniers moments de l'étape « collège ». Un long cycle de quatre ans s'achevait et un autre s'annonçait. Tout ceci était sûrement renforcé par le fait que notre classe avait été la même pendant deux ans de suite, du fait de nos options de latin, de classe européenne et d'allemand. Même Tiphaine-la-vérole était moins chiante et les deux gars têtes brûlées qui terrorisaient les plus jeunes s'étaient calmés.

Le souvenir le plus intense de cette année-là avec Dimitri pourrait sembler insignifiant. Mais mon cœur d'artichaut de l'époque en a fait un moment important. Il était gravé à jamais dans le cœur d'une jeune adolescente amoureuse.

Cela s'était passé pendant le cours d'EPS. Le soleil inondait la salle et derrière les vitres que nous ne pouvions plus ouvrir, à cause des volets coincés, il faisait chaud. Nous étions tous assis en cercle sur une succession de tapis bleus qui formaient un carré. C'était l'échauffement : les poignets, les chevilles, le cou. Laura avait été désignée pour montrer l'exemple sous les conseils de Monsieur Créton (souvent rebaptisé « Trèscon », bien que ce soit absolument faux). Les trois derniers mois étaient consacrés à l'Acrosport.

La classe était toute excitée. Les garçons se moquaient des filles qu'ils reluquaient en secret, les filles s'énervaient des garçons auxquels pourtant elles commençaient à s'intéresser aussi. Nous nous mélangions très peu, les seules filles qui traînaient avec des garçons sortaient en fait avec eux. Enfin, « sortir » était un bien grand mot. Ils s'embrassaient seulement et ne se voyaient pas en dehors du collège.

Après s'être échauffés, les groupes se formèrent pour commencer les figures. Le prof veillait bien à ce que les trios soient équilibrés selon les porteurs et les voltigeurs. Laura et moi étions voltigeuses, de gabarit équivalent et il nous avait mis avec Aude, une grande tige qui faisait plus que son âge et avec qui nous nous sentions en sécurité pendant les portés. Nous nous serions crus davantage dans la cour que dans une séance d'Acrosport, nous étions tous dissipés, seulement deux ou trois trios étaient sérieux, dont le nôtre.

Alors qu'Aude utilisait ses jambes pour m'élever dans les airs et que j'attrapais ses mains pour bloquer la position, j'observai l'air de rien le groupe de Dimitri. Ils chahutaient près de la cage du gardien (de foot ou de handball, c'était selon).

Monsieur Créton choisit de changer le déroulement de la séance, c'était peine perdue. Pour la dernière demi-heure d'EPS, il a désigné deux attrapeurs. Nous autres devions rester sur le grand tapis. Le but était de le traverser en évitant les deux gars qui ne pouvaient se déplacer qu'à quatre pattes et nous immobiliser par les jambes. Si par contre nous étions pris, et qu'ils réussissaient à nous faire tomber au sol, nous étions éliminés.

Ce fut là que le destin changea la donne car l'un des attrapeurs (impossible de me rappeler qui) venait de me ceinturer les jambes. Les autres terminaient leur traversée et étaient en lieu sûr, au niveau de la bande extérieure du tapis. Si je tombais, je quittais la partie, si je parvenais à les rejoindre avant d'être mise par terre, j'étais sauvée pour ce round là et nous devrions tous refaire une traversée.

Laura était déjà éliminée et piaillait pour que je me débatte mais mon problème c'était l'équilibre. La scène s'était déroulée extrêmement rapidement. Je faisais tout mon possible pour rester debout et quelqu'un a crié :

– Amanda, attrape ma main !

Je l'avais saisi sans comprendre, avais retrouvé de la force dans mes appuis et étais parvenue à me dépêtrer des bras de l'attrapeur. Essoufflée, je relevais la tête et Dimitri serrait toujours ma main. Je l'ai retirée aussi sec, le professeur a sifflé et tout le monde est reparti à la charge. L'autre attrapeur a profité de ma mollesse pour me catapulter sur le tapis et j'ai rejoint Laura. J'étais chamboulée, une pauvre cruche sur le côté, à regarder « mon sauveur », esquiver encore et encore les attrapeurs, sans plus aucun regard pour moi.

J'avais réussi à éviter Dimitri pendant presque deux ans. C'était étrange quand j'y repensais. Cinq jours sur sept, j'avais réussi à l'esquiver pendant vingt mois. Il n'y avait qu'au collège que ça aurait pu arriver, parce que nous n'étions pas voisins de table, que nous n'avons jamais été dans le même groupe de travail, ni même à côté à la cantine et aussi que j'avais été la reine de l'esquive.

Sauf cette fois-là.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant