12. Cours particulier (3/4)

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– Pardon ?

– Nous sommes arrivés, répéta le chauffeur.

– Oh, oui, excusez-moi.

La porte s'ouvrit avant que je ne touche la poignée. Dimitri était venu m'accueillir, un parapluie me protégeant de la bruine.

– Bonsoir, merci encore, Amanda. Oh, qu'est-ce qui vous arrive ?

– Dermatologue, rien de grave, me rappelai-je.

– Oh si j'avais su je ne vous aurais pas fait sortir.

– Tout va bien. Je suis prête à vous faire valser !

Chaque fois j'appréhendais énormément nos rencontres et pourtant devant lui je retrouvais mon aplomb. En tout cas je jouais bien mon rôle.

Le prof de danse, Pierrick, nous attendait dans le studio. La salle avait été privatisée pour nous, un cours de mambo ou de salsa se déroulait dans la grande salle derrière.

– Je vais vous montrer les pas de base, dit-il sans quitter son sourire.

– Pas la peine, je les connais, répondis-je.

– C'est bien, ça. Parce qu'en une heure, je ne sais pas si nous aurions été très loin. Enfin, Dimitri est là pour apprendre à diriger sa partenaire.

Le jeune homme se posta face à moi. A cet instant, le souvenir de cette séance de sport me sembla dérisoire, et surtout, je me rendis compte que j'avais clairement changé depuis ce temps-là. J'étais adulte, plus forte, je parvenais mieux à dissimuler mes émotions, à les contrôler, même s'il était insolemment beau dans sa tenue Yves Saint Laurent, manches relevées sur ses bras musclés.

– En position, jeunes gens.

– Vous n'enlevez pas votre gilet ?

– Euh, il fait un peu frais.

– Si, vous serez mieux sans, intervint le prof. Et Dimitri sera moins gêné.

Je jetai le gilet de Marion sur un banc et revins vers lui. Sans aucun doute, il marqua un temps d'arrêt, détaillant ma silhouette. Intérieurement, je souriais. Enfin, jusqu'à ce que je louche sur l'arête de mon faux nez enfouie sous le pansement.

Je pris sa main, il posa la sienne en bas de mes reins. La chaleur de ses doigts se diffusait à travers mon haut.

– Rappelez-vous, Dimitri, le haut du corps doit être bien solide.

Pour ça, oui, il était solide. Je savais qu'il me porterait, ses bras puissants allaient me diriger sans aucun souci. Il me semblait impossible de tomber, entourée de ses larges mains. Je me sentais complètement sereine.

Le professeur utilisa un bâton pour marquer les temps. Occupée à me remémorer en accéléré les six décompositions de mes pas, j'oubliai de réfléchir à tout cela. Ne plus être dans l'analyse de mes sentiments et émotions directement liés à Dimitri était libérateur. Je ne devais pas trop me focaliser sur l'interaction de nos deux corps.

Pierrick annonçait rapidement :

– Pied droit en avant, pied gauche rejoint le pied droit, appui pied droit, le gauche recule, le pied droit rejoint, appui pied gauche. Et on recommence.

J'enchaînai les exercices, et à un moment, Pierrick nous arrêta :

– Essayez de ne plus fixer vos pas et regardez-vous plus souvent.

Le contact regard nous gênait tous les deux. Dès lors, nos déplacements devinrent plus saccadés, moins assurés, nous ne tenions pas plus de vingt secondes sans rompre le lien.

– Resserrez le cadre, Dimitri ! Vous vous éloignez.

Sa poigne devint plus rigide, et il combla la distance entre nous, ce qui s'avéra bien plus confortable.

– Sublime ! Et voilà, la danseuse repose dans la main du danseur qui est sur son dos. Vous êtes le pilier, Dimitri. Au mariage, votre femme comprendra qu'elle peut compter sur vous, que vous ne faiblirez pas. La valse, c'est la métaphore de votre soutien dans la vie. Oui, Amanda, voilà bien fluide, pied gauche, pied droit.

Nous tournoyions et je me sentais hypnotisée. J'avais l'impression d'être sous un effet narcotique, j'aurais tellement aimé briser la glace, lui voler un baiser, puis tout avouer, rompre le contrat avec eux. Sans la présence de Pierrick, j'aurais craqué, c'était certain.

– Le danseur relève son coude.

Je jetai un œil sur ma main qui reposait dans la sienne. Mais il ne fallait pas me déconcentrer, tenir sur mes jambes qui frôlaient les siennes. Changer de direction tous les trois temps était devenu automatique. Nous nous accordions très bien. Dimitri me guidait et nous valsions en harmonie. Dans le détail, bien sûr que nous faisions des erreurs, mais l'illusion était là, pour moi en tout cas.

Dimitri avait quelque chose d'animal et de sensuel, de la force et de la sensibilité. Il allait faire un marié du tonnerre. C'était anormal tant d'atouts. J'essayais de lui trouver des défauts, mais n'en trouvais pas. Il rivalisait tout aussi bien avec Bradley Cooper ou Sam Heughan.

– Dernières rotations, vos épaules vers la droite. Très bien, Dimitri. Spectaculaire cette séance pour vos débuts de valseur.

Je me rappelai que Dimitri était quelqu'un qui en voulait, qui visait toujours haut. Déjà au collège, il mettait tout en œuvre pour réussir tout ce qu'il entreprenait.

Pierrick annonça une pause, je m'en allais boire à la fontaine dans le couloir. Le téléphone de Dimitri sonna et il dut s'absenter. Il restait quinze minutes de séance.

Il revint en s'excusant, toujours à l'appareil.

– Je suis désolé, j'en ai peut-être pour un moment. Vous pouvez rentrer, Amanda.

Malgré son ton prévenant, je ne pris pas bien du tout sa déclaration. Elle annulait tout, cassait ce moment de magie. Il m'envoyait rentrer chez moi comme si tout ceci n'avait aucune importance. Je déglutis avec peine, souris et rassemblai mes affaires.

Pierrick échangea quelques mots avec moi, sur l'avancée du mariage, la façon de m'y prendre avec les clients, puis me remercia.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant