15. Sur-mesure (1/4)

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Je dormis plus de dix heures. Autant dire que le lendemain, j'émergeai aussi fraîche qu'une rose, et avec une faim incommensurable. Après avoir rempli la gamelle de Miaou, lui-même jamais rassasié, je me ruai sur le frigo, enroulée dans mon plaid. Un petit-déjeuner sucré ne me disait rien, alors je fis fondre plusieurs fromages sur des tranches de blancs de dinde.

J'ouvris mes volets et le soleil matinal augmenta mon sentiment de bien-être dès qu'il inonda mon appartement.

Mon regard se posa ensuite sur un carnet que Chloé m'avait donné. Une vingtaine de post-it dépassaient des pages, pour marquer les modèles de robes qui l'inspiraient. Je commençais à le feuilleter lorsque je reçus un sms. Je dus relire deux fois le nom du destinataire :

Dimitri G. : Bonjour Amanda. J'espère que vous allez mieux.

Bien... Il n'allait pas me faciliter la tâche dans le processus de détachement que j'essayais d'opérer tant bien que mal. Par contre, le bon point c'était que je n'étais pas en train de faire la nigaude à relire plusieurs fois ses mots pour tenter d'y trouver un sens caché, ni n'étais submergée par une excitation comme ça aurait pu être le cas au lycée. Parce que, sans hypocrisie, on avait tous plus ou moins connu l'étape du « premier message ».

Je me rappellerai toujours de la fois où Laura avait reçu une invitation de Judith, celle qui allait devenir sa première petite amie. Nous étions seules chez mes parents, un vendredi ou samedi soir, et nous étions connectées sur MSN. Ma meilleure amie avait bondi de sa chaise, gigotait de panique et m'avait demandé ce qu'elle pouvait bien lui répondre d'une voix hystérique.

Ce temps était bien révolu. Devant le message de Dimitri, je passai juste ma main dans ma tignasse emmêlée, puis répondis simplement, avant de poser mon téléphone pour reprendre mes notes :

Moi : Bonjour. Oui, beaucoup mieux. Merci et à la semaine prochaine.

Nos prochaines entrevues seraient particulières : j'avais rendez-vous le mardi avec Chloé et le mercredi avec lui. Si pour la robe de mariée j'avais de quoi réfléchir, pour le costume de Dimitri j'avais beaucoup plus de champ libre.

Les vibrations de mon smartphone me déconcentrèrent :

Dimitri G. : Tant mieux. Je n'ai pas eu l'occasion de vous remercier encore pour votre investissement et surtout le cours de valse. Bonne journée.

Je restai avec mon téléphone dans la main, tout en réfléchissant. A nouveau, je me convainquis qu'il n'y avait aucun message à comprendre. Dimitri était quelqu'un de prévenant et de poli. Son attention me toucha, je devais bien l'avouer, mais je pris la meilleure solution en ne répondant pas et en me replongeant dans mon travail. Aucun autre message ne fut envoyé.

La fin de semaine passa tranquillement. J'avais tout fait pour me recentrer sur l'essentiel. J'avais vu mes amies, sans trop parler de mes clients, j'avais eu mes parents au téléphone et j'étais allée au cinéma avec mon frère. Léo me posa quelques questions sur le mariage à venir mais je restais évasive, lui montrant simplement mes selfies une fois déguisée, prenant la situation avec légèreté. Il se moqua cependant de mon apparence actuelle, trop maquillée selon lui.

J'avais aussi repensé au « pourquoi j'avais décidé de me lancer dans l'aventure Wedding Wedding ». Ma liste disait que : j'aimais aider les gens, j'aimais prendre le temps de chercher, de fouiner, de dénicher les perles rares, chaque contrat était un défi. J'aimais tout le processus de préparation, le lien qui s'établissait avec mes clients et les prestataires, c'était riche de rencontres, parfois plus ou moins intéressantes. J'aimais l'adrénaline du jour J, j'aimais rassurer les mariés et faire en sorte qu'ils soient les moins stressés possibles. J'aimais être mon propre patron. « Liberté » était entourée en rose fluo.

Alors j'allais aider Chloé et Dimitri comme mes clients précédents. J'allais apprécier mon faux-nez, il était le meilleur rempart entre moi et lui et surtout il m'avait permis de faire la connaissance de Marion, avec qui semblait naître une belle amitié.

Je ne vous rappellerai pas l'importance de l'étape de la robe de mariée. Chloé était dans tous ses états dès que nous nous sommes embrassées devant la boutique du couturier privatisée pour l'occasion.

L'organisatrice de mariage n'était pas souvent présente pour celle-ci. Pour les autres mariages, j'avais fait des repérages, passé des commandes et réservé des salons privés pour les fiancées et elles s'y rendaient entre copines ou avec leur mère.

Mais Chloé tenait à faire la surprise à tous ses invités et voulait connaître mon avis, bien que je lui aie répété que je n'étais pas très calée en termes de mode. Je suivais les tendances mais ça s'arrêtait là, je préférais ne pas me prononcer et laisser faire les professionnels.

– Ça change de vous revoir telle que vous êtes, déclara-t-elle.

Je ne savais pas trop quoi répondre sans paraître désobligeante, alors je l'invitai à rentrer. Devant mon reflet dans la porte vitrée, je me surpris à sourire. J'avais mis le paquet : mes boucles brunes tombaient en cascade sur mon manteau bleu pétrole, mon regard était amplifié par des cils déployés comme des ailes de corbeau. Je franchis le seuil de la Maison de Haute-Couture.

Nous nous retrouvâmes dans un salon aux allures de boudoirs. Je me présentai, l'assistante confirma notre rendez-vous, entreposa nos vêtements dans le vestiaire puis nous conduisit dans la salle attenante. 

– Voilà Mademoiselle Desneiges, s'exclama Alexis, le couturier, en saluant Chloé.

Il souligna sa joie devant les mensurations de la jeune fiancée, fine et élancée. Il me salua également, complimenta ma chevelure et je m'en allai m'asseoir sur un sofa. Alexis enveloppa Chloé d'une couverture de tissu et lui demanda de monter sur un marchepied. Il discutait de ce qu'il imaginait pour elle :

– Je choisirais de l'organdi... une dentelle fine par-dessus le corsage... dégagé au niveau du cou... dans un style anglais ou peut-être...

A ce stade, c'était compréhensible uniquement pour lui. Heureusement, il montra plusieurs croquis. Chloé écarquillait les yeux devant les dessins, elle me demanda de les rejoindre, de donner mon avis, bien que le sien semblait déjà bien arrêté.

Puis Alexis somma les couturières de sortir quelques modèles de robes, pour que Chloé puisse toucher les tissus, voir les motifs qu'il allait utiliser.

Son choix définitif se porta sur une robe dont la silhouette était très proche d'une commande passée par l'actrice Penelope Cruz pour les Oscar en 2012. Alexis allait renforcer la taille et mettre en valeur la poitrine avec un corsage en dentelle et le bas de la robe allait recevoir des volutes de pierres précieuses, tout comme le voile.

Il commença à placer ses aiguilles sur Chloé. Je m'en allai retrouver le sofa moelleux.

J'avais été médisante en pensée. J'étais persuadée que Chloé allait me tartir avec des histoires de régimes horribles pour rentrer dans la robe, ou se trouver des défauts imaginaires, mais rien de tout cela n'arriva.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant