24. Le papier (4/5)

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Laura, Tiphaine et moi avions convenu de nous retrouver au square. Nous voulions venir à pied jusqu'au gymnase pour fêter ce moment tant attendu. Depuis Londres, Tiphaine avait été très sympa avec nous, alors pour sceller cette amitié très tardive, nous nous étions dit que nous rendre au bal de promo ensemble et en profiter toutes les trois serait une bonne occasion. La dernière même.

J'avais misé beaucoup d'espoir sur ce moment. Dimitri me semblait moins inaccessible : il était resté lui-même pendant deux ans, un type bien, agréable, intelligent et aussi farceur, il était célibataire. Si vraiment je me cassais le cœur face à son refus de sortir avec moi, je pourrais guérir loin de lui, puisque nous avions eu notre tout dernier cours. J'avais eu un petit pincement en refermant la porte de la salle.

Bon, s'il disait oui, cela ne changerait rien au fait que nous passerions l'année suivante loin l'un de l'autre mais je savais que je pourrais lui écrire tous les jours et demander à mes parents de le voir pendant les vacances scolaires et l'été. Ce serait le bonheur absolu pour moi qui l'attendais depuis si longtemps.

Laura et moi arrivâmes en premier dans le square désert. Les jeux extérieurs étaient neufs, de quoi se suspendre, tourner, escalader, sauter. Nous étions trop bien habillées pour nous amuser à grimper sur les barres en attendant Tiphaine. Pour ma part, je portais une robe dorée en tulle. Ma mère m'avait fait un chignon splendide qui tenait grâce à des peignes en perle. J'avais même osé mettre du rouge à lèvre.

– Alors, comment tu vas t'y prendre ?

– Je ne sais pas. Je pensais lui demander de danser et laisser faire le reste.

– C'est quoi, ça ?

Elle parlait d'un papier bleu que je triturais dans mes mains.

– Je lui ai écrit un mot.

Laura hocha la tête d'un air désapprobateur :

– Tu vas te défiler ?

– Non mais... je ne sais pas parler quand je suis stressée. Je me connais, ma voix va s'étrangler, je vais faire ma greluche et ça va tout gâcher.

– Bon, ok, c'est mieux que rien. Il dit quoi ce mot ? Tu vas lui passer quand ?

– Je ne sais pas...

Nous fûmes coupées par Tiphaine que nous n'avions entendu arriver :

– Passer un mot à qui ?

Comme pour le bal d'hiver, elle n'avait pas lésiné sur l'habillage et la peinture faciale.

– Rien, dit subitement Laura.

On avait éveillé son intérêt. Tiphaine fit mine de bouder.

– Je croyais qu'on était amies.

– C'est à cause d'un garçon, répondis-je.

– Celui dont tu es amoureuse ?

– Oui.

– Un mot d'amour ? Fais-voir.

– Non.

– Ecoute c'est pour t'aider, c'est tout. Bref, tant pis.

Je baissai ma garde et elle s'empara du papier en riant.

– Je l'ai eu.

– Attends !

Elle lut les trois phrases.

– Dimitri... le Dimitri de notre classe ? demanda-t-elle, surprise.

– Je suis désolée, je ne voulais pas te le dire... Pour ne pas te faire de mal.

Je m'attendais à ce qu'elle pique une de ses colères légendaires mais elle déclara avec nonchalance :

– T'es bête, je m'en fiche de lui. Si tu veux l'avoir il est à toi, je suis passée à autre chose, j'ai un nouveau mec. Bon, c'est pas terrible, c'est gnangan, t'as un autre papier ?

– Euh, non.

Tiphaine déchira la partie écrite, fit une boulette et me la rendit. Je la fourrais dans ma poche. Heureusement, elle avait un crayon à maquillage dans son sac. Sur l'autre partie vierge, elle m'aida à formuler un mot qui lui proposait de me retrouver devant le cinéma le lendemain après-midi.

Une séance de cinéma, c'était pratique : pas besoin de parler. Le noir pour se rapprocher, ou s'enfuir...

– Et maintenant ?

– Tu veux que je lui donne.

Comment lui dire que je ne voulais surtout pas que le mot doux soit transmis par une personne intermédiaire, et encore moins par son ex-copine ?

– Non, je pensais le cacher ici.

– T'es timide à ce point ?

C'était très bizarre ma décision, Laura s'était aussi proposé pour lui transmettre et là j'aurais pu dire oui, avec une confiance aveugle. Mais avoir le mot sur moi pour un temps indéterminé pendant le bal qui réunissait tout le collège, cela m'angoissait. De plus, je voulais que ce soit plus romantique, plus symbolique.

En y réfléchissant, je choisis le panier de basket pour les grands sur le square. Le poteau était en bois, moderne, avec des couleurs et des interstices.

– Je vais le mettre là, il saura que j'ai remarqué qu'il aime le basket.

Je me hissai sur la pointe des chaussures et glissai le mot dans une ouverture un peu plus grande. Le papier était protégé par un emballage de paquet mouchoir vide, au cas où il y aurait une averse.

– Allez les bombasses, allons danser.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant