23. Retour au pays (1/3)

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Je sortis donc de la capitale et pris la direction de la ville de notre enfance. Dimitri m'indiquait vaguement la direction. Il sentait l'alcool et le tabac.

Je pars pour Manèves avec Dimitri Grévois !

Nous ne parlâmes pas pendant plus d'une heure. Il but de l'eau, me remercia plusieurs fois et me dit qu'il serait de meilleure compagnie quand il aura recouvré ses capacités. Concentrée au volant, j'étais très sereine. Cela ne m'empêchait pas de me poser plein de questions mais à l'instant T, j'étais d'un calme religieux.

D'aussi loin que je me souvienne, j'adorai la sensation de la voiture. Quand bien même j'avais été anxieuse : pour partir en colonie de vacances avec des inconnus, me rendre à une épreuve orale de bac ou en visite chez de la famille que je ne supportais pas, le moment du trajet était toujours une bulle, une parenthèse de sérénité, même avant la tempête.

Cette sensation de bien-être sur la route s'était accentuée dès que j'ai su conduire. Alors, pas dans la capitale, malheureusement, mais sur les routes dégagées. Et ça faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé, car pour notre séjour normand avec les filles, nous avions pris la voiture de Laura.

– Vous devez vous demander ce que vous faites là, déclara Dimitri.

Je sentais sa culpabilité dans sa voix. Il culpabilisait de flancher.

– Si vous ne voulez pas parler, rien ne vous y oblige pour l'instant.

Parle, parle, parle !

Il médita un peu, puis je retins quelques phrases désordonnées qu'il sortait comme s'il suivait le fil de sa pensée :

– Chloé est trop fragile, elle n'aurait pas compris... J'étouffais et n'avais personne à appeler... Je veux dire, je ne me suis jamais senti aussi minable. Hors de question que ma future femme ou mes amis me voient dans cet état, alors j'ai pensé à vous.

Je faisais encore la poire de service. Génial...

– Ne vous inquiétez pas, je paierai pour tout : l'essence, la route, l'hôtel... J'ai dit à Chloé que j'étais en déplacement pour le boulot.

Oui, très bien, c'était sûr, je le laisserai se démerder avec son lieu de couchage. Et moi, finalement j'allai revoir mes parents plus tôt.

– Je ne sais pas trop ce qui m'arrive.

Il voulait le conseil de l'organisatrice.

– Le mariage peut déclencher des doutes et des questions. Puis si au boulot c'est compliqué...

– Oui...

Il se referma. Je le sentais en colère contre lui-même.

Un gargouillis dans mon estomac rompit le silence lorsque la pancarte d'un restaurant d'autoroute se dressa devant nous. Dimitri avait aussi besoin de manger. Mes parents m'avaient toujours appris qu'un repas chaud et une oreille attentive pouvaient faire des miracles.

Je ne lui demandai pas son avis et pris la sortie vers l'aire. Dimitri ne broncha pas, il était affamé. Je passai vite fait aux toilettes pour les retouches maquillage.

J'étais électrique, tout devait être fait vite, pas de place pour ma pensée.

Nous fûmes à table rapidement, avec chacun une assiette bien garnie de viande en sauce et purée, le pichet d'eau pas loin que je venais de remplir à la fontaine. Un air de retour en arrière à la cantine. Manger face à face, c'était stressant.

Il va me reconnaître, il va me reconnaître...

– Pourquoi vous n'avez plus de permis ? demandai-je.

– Je ne l'ai jamais eu. Mes études étaient chères, je pouvais me déplacer en transport sans aucun problème et de fil en aiguille je me suis entièrement habitué et maintenant j'ai un chauffeur, alors...

– Je suis le chauffeur remplaçant.

– J'espère que vous ne le prenez pas mal. Je savais que vous ne seriez pas dans le jugement, je vous trouve dynamique, toujours d'humeur égale...

Eh bien, il faut croire que je donnais bien le change.

– Je suis votre organisatrice de mariage, heureusement que je suis agréable avec mes clients.

– Vous avez accepté de m'aider pour le cours de valse, vous vous rappelez ?

Vaguement...

– Et je sais que vous vous pliez en quatre pour satisfaire les moindres besoins de Chloé. Et elle m'a dit que vous étiez passée la voir à l'hôpital quand elle m'attendait. C'est dans votre nature d'aider les gens. Et c'est pour ça que vous faites bien votre travail.

Ainsi, Chloé lui avait dit que j'étais venue. Pas le temps de jouer la guimauve, j'enchaînai :

– Vous ne m'avez pas raconté votre enterrement de vie de garçon.

– Compliqué. Enfin, la journée s'est bien passée : paint-ball, combat de sumos... On était claqué le soir. Mais dans ce bar, j'ai pété les plombs. C'est moi le responsable de la baston.

Ça ne lui ressemblait vraiment pas... Ou alors je ne connaissais plus du tout Dimitri.

– Pourquoi ?

Il répondit à ma question de manière indirecte :

– Cette fuite... parce que c'en est une, j'en ai besoin. Je n'avais aucun moyen de m'isoler à Paris. Je ne sais plus depuis combien de temps je suis resté seul avec moi-même, c'est important de se recentrer parfois. J'en oublie presque qui je suis.

– D'où votre désir de retourner au pays de votre enfance, déduisis-je.

– Oui. Je veux fuir pour mieux revenir, éclaircir ma tête. Vous comprenez pourquoi je ne peux la confier à personne.

– Oui.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant