30. Arrête de parler aux étoiles (1/5)

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J'étais restée assise sur le banc, vidée de toute émotion. Mes amies étaient revenues me voir mais j'avais préféré rester encore un peu seule. Laura, Anne et Marion avaient compris.

Je contemplais les feuilles tombantes du saule qui se mouvaient dans l'air chaud, puis le lac, et au loin la mer, et les étoiles. Peut-être pourrais-je leur parler ? Comme lorsque j'étais petite, pour leur confier mes états d'âmes.

Non, j'en étais arrivée au moment où il vaut mieux dire les choses qui comptaient.

Presque tous les invités étaient partis. Je trouvais ça toujours glauque les lieux de fêtes désertés avec sur les tables et au sol, les preuves abîmées d'un moment joyeux et plein de vie. La vaisselle sale, les serviettes froissées et tâchées, les bouteilles vides, les décorations déplacées. Mais pour ce mariage-là, Chloé avait fait fort ! Je me demandai si l'on avait quand même servi la pièce montée.

Les prestataires avaient quitté les lieux, Laura leur avait dit que je les recontacterai plus tard. Heureusement, ils avaient été payés sinon il aurait fallu que je me confronte à eux. Au moins, tous auraient une anecdote croustillante à raconter au repas de Noël prochain.

Je faisais partie des organisatrices qui avaient un genre de « wedding blues » à la fin de chaque cérémonie. Tant de mois uniquement tournés vers ce but. Tant de « moi » donné pour celui-ci. Rien ne pouvait décrire ce que je ressentais à cet instant.

Je décidai de m'en aller lorsque je sentis que quelqu'un s'asseyait près de moi. C'était la mère de Dimitri :

– C'est splendide, vous ne trouvez-pas ?

– Madame Grévois ?

– Je dis : c'est splendide, vous ne trouvez pas ?

J'avais compris qu'elle parlait du paysage, mais j'étais étonnée par cette phrase si étrange dans ce contexte, prononcée d'une voix douce. Elle n'avait eu aucune explication encore sur la catastrophe qui venait de se passer, ni ne savait où était passé son fils, au volant de sa voiture, seul dans la nuit, avec en plus quelques verres d'alcool dans le sang... Mais loin d'exprimer des remontrances, elle me parlait du paysage.

Je pris mon courage à deux mains pour mettre les pieds dans le plat :

– Je suis navrée pour tout ça, madame Grévois. Savez-vous où il est ?

J'étais morte d'inquiétude pour lui maintenant. Pourquoi sa propre mère semblait si calme ? Pourquoi apparaissait-elle plus sereine que pendant la cérémonie ?

– Je m'inquièterais moins pour lui, si j'étais vous.

J'avais besoin d'un peu plus de détails.

– En tout cas, moi, je sais qu'il ira beaucoup mieux, maintenant. Je voyais mon fils dépérir, se perdre depuis des mois sans pouvoir rien faire. Mais j'avais confiance, je savais qu'il finirait un jour par retrouver ce qui fait sa force et se libérer de cette femme. Ce matin, je me suis réveillée bien triste, et ce soir je vais bien dormir. Je n'aurais jamais pensé que ce serait si rapide, ni aussi radical. J'ai cru comprendre que d'une manière ou d'une autre, c'est un peu grâce à vous.

Que la mère du faux marié me remercie à sa façon, c'était tout sauf à quoi je me serais attendue.

– Je lui ai fait plus de mal que de bien.

– C'est vous qui le dites.

Elle se leva.

– Il me déteste.

– Laissez faire le temps, vous verrez.

Son mari était venu la chercher. Juste avant de partir, madame Grévois se retourna vers moi :

– Amanda, oui, je me rappelle de vous. Vous n'étiez pas rien pour lui.

Je me retrouvai seule et décidai finalement de contempler un peu plus longtemps cette nuit étoilée.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant