18. Le bal d'hiver (1/4)

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Décembre 2004.

Ma mère n'arrêtait pas de m'appeler. Laura et son père m'attendaient dans leur voiture, juste devant la maison.

– J'arrive ! répondis-je pour la deuxième fois. Je coiffe mes cheveux !

Mensonge éhonté. En réalité, j'étais déjà prête depuis trente minutes mais je ne voulais pas louper la fin des évaluations de la Star Academy. Je voyais bien que Raphaëlle Ricci se contrôlait, alors son avis cinglant sur la prestation d'un des candidats allait être explosif. Le mercredi, c'était un rendez-vous que je ne voulais pas manquer. Il restait deux minutes. Dès que ce fut fini je cliquai sur le gros bouton de la télévision et dévalai les marches deux par deux.

– Tu vas tomber ! prévint mon père, las de me le répéter chaque jour.

Ma mère ouvrit la fenêtre pour crier au père de Laura :

– Elle arrive !

Mes parents vinrent vers moi pour me faire quelques recommandations :

– Restez bien toutes les deux, ou alors au moins toujours près des adultes. Je viens vous chercher à 22h.

– Oui, oui, je file !

– Un bisou, mon beau poussin !

Je courus ensuite jusqu'à la voiture, Laura avait déjà ouvert la portière. Je saluai son père alors que déjà Laura s'excitait :

– T'es trop belle !

– Non, c'est toi qui es trop belle !

Passée la surprise de notre apparence apprêtée, le stress nous rattrapa et le calme qui envahit la voiture pour le reste du trajet en fut le signe incontestable.

Le principal du collège était un expatrié venu des Etats-Unis. Il allait bientôt se marier avec sa femme, une française qu'il avait rencontrée lorsqu'elle s'était retrouvée en études à New York. Il avait amené avec lui les traditions de son pays, pour notre plus grand bonheur, nous qui étions déjà baignés dans la culture américaine grâce aux films et aux séries. Ses propositions avaient été soumises à un vote auprès des professeurs et des délégués de chaque classe, et tout le monde avait accepté.

Ainsi, nous avions le droit à une belle fête d'Halloween (élèves et professeurs pouvaient se déguiser), la cantine avait mis les petits plats dans les grands pour Thanksgiving, des matchs de baskets étaient disputés, animés par les pom-pom girls et le fameux bal de promo avec la remise du diplôme du Brevet aurait lieu en juin.

Mais là, nous nous rendions au bal d'hiver qui annonçait les fêtes de fin d'années. Laura, qui venait de lire Harry Potter et la Coupe de feu avait été hystérique en l'apprenant.

Au-delà de ce qui allait s'y passer, ce souvenir m'avait marqué parce que c'était la première fois que nous allions danser avec des camarades de classe. Les autres collèges alentours auraient parlé de « boum » mais chez nous c'était « LE bal d'hiver », ça sonnait moins plouc.

Mais comment se comporter dans ces conditions différentes, hors du cadre des cours ou des moments balisés comme la cantine, la récré ou la permanence ? Allions-nous, comme dans les films, redécouvrir d'un œil nouveau untel ou untel ? Bien entendu, je pensais à un seul et unique adolescent...

Dès que le père de Laura nous laissa sur le parking, nous pûmes constater que les élèves avaient joué le jeu. Ils avaient tous troqué leur jogging, sweat à capuches ou Air Max pour des vêtements plus habillés. L'invitation au bal précisait bien « tenue correcte exigée ».

Bon après, nous n'étions que des jeunes collégiens, il y avait une limite. Tiphaine-la-vérole, elle, s'était prise pour une star d'Hollywood. Elle avait disparu sous un maquillage outrancier, sa coiffure montait en boucles serrées comme Marie-Antoinette et sa robe rouge trainait derrière elle.

Laura et moi avions été faire les boutiques ensemble, nous avions chacune choisi une robe, noire pour Laura et violette pour moi. Ma meilleure amie avait laissé ses cheveux libres sur ses épaules, chose exceptionnelle, mais j'avais noté que son élastique était autour de son bras, elle finirait par craquer, c'était sûr. Pour ma part, j'avais fait une tresse ramenée devant mon épaule pendant le trajet, à la va-vite.

Le gymnase avait été réquisitionné pour les festivités. Les lignes de couleurs censées délimiter les terrains de basket ou de handball avaient été dissimulées sous un tapis bleu nuit aux mille paillettes. Des étoiles de neiges suspendues au plafond avaient été réalisées en cours d'Arts-Plastiques (seule fois où il aura été utile), et deux sapins de noël s'élevaient de part et d'autre de l'entrée principale.

Les professeurs assuraient à la fois la musique, la surveillance, la distribution des boissons dans les gobelets en plastiques et des parts de cake au jambon. Repas de fête quoi ! Enfin, nous n'étions pas là pour manger, à cette époque ce qui nous préoccupait c'était les autres.

Enfin, pour ma part, surtout lui ! Nous avions mis en place avec Laura le plan « CHO GREV ». Pour dire « chopper Grévois ». Laura voulait me pousser à inviter Dimitri à danser. Elle assurait que comme dans toute romance, il ne dirait pas non, et qu'à coup sûr, il se rendrait compte que je lui plaisais.

Encore fallait-il le trouver. Dans la salle, quelques élèves se tortillaient déjà sur le Shut Up des Black Eyed Peas. Je notai qu'un effort avait été apporté sur la playlist musicale. J'observai de loin la salle, mais c'est Laura qui verrouilla notre cible. Dimitri traînait avec ses deux amis inséparables, Paul et Yohann, les mêmes que pour la fameuse séance de cinéma. Il portait un col roulé noir et un jean Levi's sombre. Il avait déjà du goût et les filles essayaient de capter son regard.

On avait beau dire que l'habit ne faisait pas le moine, ce soir-là, on aurait dit que les nanas découvraient un nouveau Dimitri. Mais lui ne s'en rendait pas compte, et s'amusait avec ses deux potes. Ils chahutèrent même avec un ballon de basket récupéré dans le local sportif. Le principal les rappela à l'ordre et ils s'en allèrent grignoter au buffet.

– Tu l'as vu avant ! murmura Laura à mon oreille. Vas-y, te dégonfle pas !

– Oh, pas tout de suite, pas tout de suite... paniquai-je.

– Va chercher un verre !

Je m'approchai du buffet, l'air innocent. Dimitri souriait à son pote, défendait Eminem. Je le trouvai tellement mignon. Bien sûr, je n'entendis pas Madame Bivalo qui répéta :

– Je te sers quoi, Amanda ?

– Euh... un coca.

Le trio retourna sur la piste, et moi je retrouvai Laura, penaude.

– Bon, alors ?

– T'as bien vu, il ne m'a pas remarquée.

– Amande, c'est un garçon. Avec les garçons, on devrait porter des écriteaux et des panneaux signalétiques pour leur indiquer quoi faire et quoi voir !

Elle n'avait pas tort.

– Bon, on danse un peu et quand tu le sens mieux, tu l'invites à danser, ou au moins tu tentes une approche.

– Danser, devant tout le monde ?

Laura me fit les gros yeux et me montra l'endroit où nous étions avec des grands gestes, du genre « Hey Ho, t'as bien vu qu'on était sur une piste de danse ? ».

A mesure que le temps passait et que les tables de mets et boissons se vidaient, la piste devint de plus en plus chargée. Le volume sonore fut augmenté, si bien que les conversations ne pouvaient plus se poursuivre. Une seule possibilité : danser.

La cerise sur la pièce montée (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant