Chapitre 9

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Lorsque mes pas me mènent à l'intérieur du réfectoire, je marque un brusque arrêt, encaissant les hurlements et les éclats de rire. Les lycanthropes n'ont pas leur pareil pour se faire entendre et l'heure du repas est le meilleur moment pour se défouler. Évidemment, je préfère cette ambiance, à celle, glaciale, de la forteresse d'Isidore.

Il fut un temps, j'aurais même adoré cette cacophonie et me serais mêlé avec grande joie aux diverses conversations. Mais en ce moment... Avec mon pouvoir coulant entre mes mains pour un rien, j'ai tendance à éviter la foule. Elin a raison de s'inquiéter. Je ne vais pas bien. Et je ne pense pas que le temps puisse y faire grand-chose...

Tout en soupirant, j'abandonne mes écouteurs, devenus bien inutiles face aux rires des loups. Ma bulle protectrice explose, et me laisse un instant incertaine de la marche à suivre. J'en suis presque à me dire que fuir pour manger dans ma chambre vaut le courroux du médecin quand un sifflement retentit au loin, me faisant lever la tête. Je croise alors le regard de Stevan, qui, le sourire aux lèvres, m'invite d'un geste à le rejoindre.

En traînant les pieds, je me fraye un chemin jusqu'à sa table, slalomant entre les bancs, les gestes maladroits de certains et les jambes étendues des autres. Ce n'est qu'en arrivant à sa hauteur que je prends conscience que la troupe au complet de Druvath est attablée avec lui. Les jumeaux se tiennent à l'opposé de mon ami, ce qui ne m'étonne pas le moins du monde. Lors de notre escarmouche malencontreuse, Dimitri a bien failli étouffer Hanor.

Celui-ci ne lui en a pas tenu rigueur, ayant jugé leur combat de bonne guerre. Seulement, son frère, Hermias n'a pas apprécié. Sa morsure, qui a tenu si longtemps mon âme sœur dans l'infirmerie est là pour le prouver. Et bien que de l'eau soit passée sous les ponts, le loup n'aime pas voir les vampires circuler aussi librement dans les couloirs.

Hanor, bien qu'il m'adresse un fin sourire à mon arrivée, le soutient silencieusement, et évite, la plupart du temps, de prendre part à la conversation lorsque Stev ou moi interagissons. À l'inverse, le jeune Zéphin parle avec grand entrain, Stevan l'écoutant bien attentivement, même si sa main effleure la mienne lorsque je passe non loin de lui. Si je capte quelques bribes de leur discussion, je n'interviens pas.

Se lancer dans un débat ayant pour sujet le monde extérieur avec Zéphin, ou Dérius, qui souffre de la même curiosité, c'est risquer de finir avec le gosier asséché. Arcadus se pousse un peu pour me faire de la place, avant de s'en retourner à l'observation de sa descendance. Le père n'a jamais voulu voir son fils rejoindre la patrouille, mais il ne l'a pas non plus empêché de le faire. Seule obligation :  rentrer dans le même groupe que lui, afin qu'il puisse veiller sur lui.

Druvath, le chef de la troupe, préside le déjeuner en bout de table, son attention rivée sur son assiette vide. Lors de nos diverses sorties, j'ai eu le temps d'apprendre à le connaître, la plupart du temps à son insu. Plus réservé, il a une facilité à l'écoute, et fait, sans nul doute, penser à ces généraux de guerre que j'ai pu voir dans les films d'action. Patient et sérieux, autoritaire et juste. Je m'assois donc entre lui et le père de Zéphin, alors qu'il pousse son plateau et son verre, m'offrant un bref hochement de tête.

Une impression de déjà vu me traverse l'esprit. Je me revois, arriver dans le petit self de notre village, durant l'une de mes pauses déjeuner. Un grand mouvement de main pour attirer mon attention, Vadim me pressait de rejoindre mes amis... au complet. Le bonheur et la joie. Que ce temps semble lointain... Sevastian était encore en vie, je ne savais encore rien de ce monde que je découvre tous les jours et j'étais une simple étudiante, avec des parents absents, mais bien au fait de mon existence.

-        Tu as fait tes tâches de la matinée ?

Le présent m'oblige à remettre les pieds sur Terre et je me tourne vers mon interlocuteur. Zéphin ayant clos, pour le moment, le débat, Stev me regarde avec toute la bienveillance du monde. Parfois, je me demande s'il ne parvient pas à percer le mur protégeant mon esprit pour lire en moi. Il a une telle facilité à comprendre mes changements d'humeurs... que ça a tendance à m'effrayer. Je me forge donc le meilleur sourire possible avant d'attraper ma fourchette. Sans savoir où, je sais qu'Elin m'observe attentivement.

3 mois sous silence - L'Explosion (Tome 4)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant