Chapitre 52

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I'm a princess cut from marble, smoother than the storm, and the scars that mark my body, they're silver and gold...

Je pousse un grognement d'ours de caverne avant de frapper brutalement du plat de la main mon téléphone. Celui-ci tombe avec fracas sur le sol, emportant avec lui le son de mon réveil. Je remue dans mon lit et fouille à l'aveuglette pour m'emparer, victorieuse, de l'objet de mes tourments quotidiens. Avec un certain plaisir, j'appuie sur le bon bouton et la chanson stoppe, en plein refrain. Pas grave. Je la connais par cœur et elle continue dans ma tête, me forçant à me lever, en bâillant à m'en décrocher la mâchoire.

Je lance une playlist, puis, en grognant, attrape mes vêtements du jour et m'enferme dans la salle de bain. Une demi-heure plus tard, je ressors, de meilleure humeur, mais avec l'énergie et la motivation d'un escargot. Qu'on se le dise, cela avoisine probablement à zéro. Le même chiffre qui va être inscrit sur mes examens si j'arrive en retard aux partiels. En grimaçant, je remonte le couloir, et pénètre dans la cuisine, mon sac déjà à la main. Je croise immédiatement le regard presque aussi maquillé que moi de ma coloc. Laurine me renvoie ma moue avant de sourire férocement, en ourlant ses lèvres peinturlurées de rouge.

- Prête pour le massacre ?

- Tu parles, marmonné-je en chipant une pomme au passage. Tu vas encore tout déchirer et moi, je vais encore bien me ramasser...

- Lena, Lena, Lena...

Lorsqu'elle commence comme ça, c'est pour me servir un long discours sur la confiance en soi, digne des plus grands orateurs. Je la connais, et même si je l'adore, elle me fait parfois un peu penser à une seconde mère... ce dont je me passerais bien. D'ailleurs en parlant du loup... Je tire de la poche de ma jupe mon portable, vibrant à fond, et lis le nom de mon correspondant. Sauf que je mets fin aux vibrations en coupant l'appel, comme j'en ai l'habitude ces jours-ci. Je relève les yeux et croise le regard désapprobateur de mon amie. Ça ne m'empêche pas de croquer dans mon fruit.

- Tu comptes les snober encore longtemps ?

Je préfère ne pas répondre, mes parents étant un sujet particulièrement tendu en ce qui me concerne. Laurine a son avis sur la question, mais ça ne m'intéresse pas. Elle pense que je suis dans une crise existentielle, tandis que je ne trouve plus de points communs avec mes géniteurs. De toute manière, ils ne viennent en France que pour les fêtes, alors à quoi bon tenter de garder contact, vu qu'il est clair qu'ils ont autre chose en tête ?

- On va être à la bourre, lui fais-je remarquer en pointant du doigt l'horloge murale du salon.

- Ma chère, tu apprendras que je ne suis jamais en retard.

Sur son ton de duchesse blessée, elle enfile ses chaussures et me passe devant, le nez levé. Je pouffe et la suis vers la sortie, nos talons claquant fort sur le parquet vieillot de notre appartement. Laurine fait sauter ses clefs dans sa main, tout en sifflotant jusqu'à sa voiture, tandis que je reste légèrement en retrait, un nœud à l'estomac. Le moteur démarre sans que ni elle ni moins ne parlions, mais dès que le bolide sort du parking, je sens le regard de mon amie glisser sur ma personne.

- Ne t'inquiète pas, tu vas l'avoir ton diplôme.

- J'espère.

- Tu n'es pas si stupide que ça quand même.

Elle m'arrache un demi-sourire et je finis par relâcher mes épaules, laissant la pression accumulée depuis quelques jours redescendre légèrement.

- Tu sais bien que je ne survivrais pas un an de plus dans ce patelin. Je veux bouger. Sortir de cette ville. J'ai l'impression d'étouffer ici !

- Pourquoi ?

Laurine s'arrête à un feu et observe sa manucure impeccable, la même que la mienne, sans faire mine de s'intéresser à la réponse. Sauf que celle-ci me met particulièrement mal à l'aise et elle le sait parfaitement. Je détourne le regard et porte mon attention vers l'extérieur, me contentant d'épier l'effervescence du matin. Le kiosque à journaux avec sa petite clientèle. Les diverses boutiques qui remontent leur store. Les hommes d'affaires dépassant les enfants en route pour l'école.

Perdue dans mes pensées, je ne remarque pas tout de suite ce que tout le monde fixe une brève seconde, en passant rapidement à côté. Lorsque mes yeux se posent sur la curiosité du moment, je me crispe immédiatement sur mon fauteuil, et serre les dents. De là où je suis, je ne le vois pas très bien, mais il s'agit bien d'un homme. Grand. Jeune. Et probablement athlétique. Pourtant, même à cette distance, je peux croiser son regard sombre, aussi noire qu'une nuit sans lune. Et de toute évidence, il semble attendre quelque chose. Ou quelqu'un. Ses yeux sont plongés dans les miens. Je sais qu'il me dévisage. Je me fige quand il redresse la tête. Je tremble presque lorsque je le vois faire un pas. Un pas... dans ma direction. Puis tout s'évapore.

Le feu tricolore repasse soudainement au vert, me soustrayant brutalement à cette panique qui n'a pas lieu d'être. Laurine passe la seconde et ma tête cogne contre la vitre, tandis que la climatisation semble murmurer des paroles portées par le vent. Un coup d'œil à l'autoradio me permet de comprendre qu'il ne s'agit ni plus ni moins d'une chanson passant à la radio. Je pousse un profond soupir, soulagée de ne pas être encore folle et me retourne vers ma coloc, toujours en attente d'une réponse. Que je finis par lui apporter.

- Tu sais très bien pourquoi.

Son coup d'œil morne m'informe qu'elle a saisi mon message et préfère changer de sujet. Un autre point sensible, s'ajoutant à une longue liste qui ne cesse de grossir de jour en jour. Jusqu'à ce que je quitte cet endroit.

- Tu ne parles toujours pas à Gwen ?

Décidément, elle souhaite se venger de quelque chose ce matin. Je lui lance une œillade agacée, qu'elle me rend au centuple.

- Lena, tu es d'une humeur de chien alors que je devrais l'être. Je sais que tu as des problèmes, mais me tenir éveillée toute la nuit à cause de tes hurlements, la veille des examens en plus, devrait te rendre coupable et non assassine au petit matin.

Mes terreurs nocturnes. Je ne m'en souviens que rarement, ce qui m'arrange bien. Car si j'en crois ma coloc, elles ne sont pas belles à entendre. Où à voir. Mon psy dit que ça passera avec le temps, et je désespère. Quant à Laurine... Elle endure.

- Désolée, Lolo.

Un profond soupir gonfle ses joues, mais je me doute qu'elle ne m'en veut pas. Elle sait que ce n'est pas de ma faute si mon cerveau est malade. Sa main passe par-dessus le pommeau de vitesse et m'attrape brièvement les doigts.

- Heureusement que je t'aime toi !

- Ton amour te perdra, répliqué-je, tentant de faire bonne figure.

Bien sûr, ça marche. Laurine ne reste jamais fâchée contre moi très longtemps et elle ne fait jamais bien attention à ce que je ressens. Moi non plus d'ailleurs.

- Je sais, je sais... Mais que ne ferais-je pas pour mon amie !

Nous continuons sur le ton de la plaisanterie, mais le cœur n'y est pas. Je la laisse prendre les rênes de notre conversation, tandis que mon esprit dérive, en observant le paysage que nous dépassons. Et, curieusement, mes pensées s'en retournent vers l'homme de tout à l'heure. Un parfait étranger, un visage anonyme, et pourtant... Pendant une minute surréaliste, j'ai eu l'impression de le reconnaître. Pas comme une vieille connaissance. Plutôt comme un amant. Les mots perçus dans l'habitacle étouffant de la voiture s'inscrivent au marqueur indélébile dans mon crâne et se répètent dans une longue litanie, sans que j'en comprenne leur sens.

Attends-moi, mon ange. L'exil prendra fin.

***

Petite dédicace à une lectrice, qui se reconnaîtra. Celle-ci m'a parlé de cette chanson, en me disant qu'elle lui faisait penser à 3MSS. Fallait forcément que je la place quelque part.😎

Sinon, avant de me houspiller, on passe à l'épilogue ?😅

3 mois sous silence - L'Explosion (Tome 4)Where stories live. Discover now