Tome II • Chapitre 21

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19 février 2024- Boucan Canot - La Réunion

Aujourd'hui est mon dernier jour sur l'île de la Réunion. Hier soir, nous avons terminé de charger le container qui partira pour Chicago dans la journée de demain. J'ai pu rester pour aider mon père à vider la maison en reprenant le travail mais à distance. Pas mal de réunion ont rythmés mes journées depuis que la monoplace a été présenté à la presse.

Ça n'a pas été une chose si simple de trier les affaires de ma mère. Chaque vêtement, chaque bijou, chaque produit de beauté a fait remonter des tendres souvenirs. Si la plupart de ses vêtements ont été récupérés par une association locale, nous avons gardé sa robe de mariée ainsi que certains pulls ou robes qui avaient une trop grande charge émotionnelle pour qu'on puisse s'en séparer. Ses bijoux seront répartis entre mon frère, ma sœur et moi de façon équitable tout comme son maquillage. Ma mère adorait se maquiller, elle avait une collection assez impressionnante de palettes de fards à paupières et de rouges à lèvres. J'ai mis la main sur l'un de ses rouges à lèvres Chanel, il est déjà bien au chaud dans mon sac à main. Comme ça, elle m'accompagnera partout, sans prendre trop de place.

Nous avons aussi démonté et emballé les meubles que mon père voulait pour sa nouvelle maison, tout le reste a été donné au voisinage ou à des associations. Heureusement que nos voisins d'à côté nous ont prêté des couchages d'appoint sinon, on aurait dû dormir à la belle étoile pour notre dernière nuit ici.

Avant de vider le grenier, j'ai récupéré une dizaine de petits carnets appartenant à ma mère. Il me reste assez de place dans ma valise pour pouvoir les prendre avec moi. Le reste part directement à Chicago ; il y a des choses pour lesquelles j'ai refusé catégoriquement qu'on s'en sépare, et ces carnets en font partie. Plus tard, je suis persuadée qu'on prendra plaisir à se replonger dans les souvenirs de ma mère. Elle a noirci chacune des pages, cela fait partie de notre héritage familial.

Je n'arrive pas à dormir mais cette fois-ci, je connais la cause. Demain, je vais faire mon grand retour dans le paddock, j'ai l'impression qu'on est la veille de la rentrée des classes. J'ai tellement hâte de retrouver toute l'équipe, l'effervescence du lieu, le bruit des moteurs V6 hybride et toute l'atmosphère si particulière des essais hivernaux. Nous serons en petit comité, il n'y a pas beaucoup d'invités lors de ces séances, le paddock sera bien plus calme que d'habitude. Mais l'excitation est teintée d'une certaine appréhension.

Le retour au travail veut aussi dire pouvoir se retrouver nez à nez avec Lewis. Pour le moment, je tente de ne pas y penser. Mais je sais que c'est la raison principale de mon insomnie cette nuit.

Mon téléphone indique « 2:22 » quand je sors le premier carnet de ma valise. J'ai envie d'en apprendre plus sur la jeunesse de ma mère. Dès les premières lignes, je me plonge dans son récit. Ma mère a commencé à écrire quand elle avait 15 ans, soit deux ans avant de rencontrer mon père. Dans le premier carnet, elle raconte son quotidien au lycée. Je rigole doucement quand j'apprends que ma mère était une vraie séductrice, elle faisait craquer tous les mecs de sa classe, mais elle, elle était totalement focalisée sur ses études.

Je dévore littéralement les deux premiers carnets, les petites prises de tête avec ses copines et ses états d'âme d'adolescente me passionnent. Je découvre une autre facette de ma mère.

Puis au milieu du troisième carnet, mon père arrive dans sa vie.

"11 juin 1984 - Rouen

J'ai encore du mal à croire ce que je m'apprête à écrire ici. Je crois que j'ai rencontré le père de mes enfants hier soir.

À la base, je ne voulais pas aller à cette soirée organisée par Louisette. J'étais bien déterminée à passer ma soirée à réviser pour les épreuves du baccalauréat qui arrivaient à grands pas. Mais la bande de copines avec qui je traîne habituellement est venue me chercher directement à la maison. Mes parents se sont trouvés un peu dépourvus devant l'insistance de mes copines et n'ont pas su leur dire non. J'ai à peine eu le temps de remettre un peu d'ordre dans mes cheveux avant de partir.

Late Night TalkingWhere stories live. Discover now