Elsker Nord (L'amour du nord) Livre 2 et Livre 3

Chapitre 24

Arlun

Ce n'est pas possible... Les Dieux se jouent de moi !...

Le cœur battant la chamade, le corps tremblant, je dévisage l'homme et la femme derrière lui sans arriver à détacher mes yeux de leurs visages vieillis par les années. Comment aurais-je pu les oublier ? Comment aurais-je pu oublier ce qu'ils m'ont fait ? Comment aurais-je pu oublier cette femme que j'appelai mère et qui a déversée sur moi toute sa haine ? Et lui ? Comment oublier cet homme qui a organisé le massacre de ma tante, sa propre femme ? Comment oublier que tout a commencé à cause d'eux ?

Les souvenirs m'assaillent soudain et je lutte pour rester debout, m'agrippant de toutes mes forces au bras de Björn. Je revois toutes ces choses qu'ils m'ont faite, tout ce que j'ai enduré à cause d'eux, toute cette souffrance parce que j'étais différente...

Je ferme les yeux avec force pour chasser ses mauvais souvenirs et inspire un grand coup. Je ne suis plus cette petite fille terrorisée qu'ils ont connue... Je suis Arlun, fière femme viking et plus jamais je ne tremblerais devant eux !

J'ouvre les yeux, plus déterminée que jamais à en finir avec mon passé et dégaine la courte lame que je porte à la ceinture, mon regard rivé sur les tortionnaires de mon enfance.

Mon oncle, gros pourceau, nous tient en respect de sa lame pointée vers nous tandis que ma chienne de mère se signe avant de rentrer dans la masure, claquant la porte derrière elle.

-Ils sont à moi... Dis-je tout bas en regardant de côté mon fils qui acquiesce en silence puis Björn qui semble hésiter.

A l'extérieur, tout indique que je suis calme, réfléchi, assurée. Mais en moi, un tourbillon d'émotions me vrille le cœur et l'esprit, faisant trembler légèrement mes mains. J'ai peur et Björn le sait. Il pose sa main sur mon bras, penche la tête sur le côté et murmure d'une voix calme et posée.

-Tu auras ta bataille, nous n'interviendrons pas... Jusqu'à un certain point... Si les choses tournent mal, nous serons là...

J'acquiesce à mon tour et tourne le regard vers mon oncle qui nous défit toujours de sa lame levée vers nous. Il est temps...

J'avance lentement vers lui et sourit lorsqu'il comprend qu'il va combattre une femme. Il s'attendait à devoir se battre contre l'un des hommes...

-Si tu savais depuis combien de temps j'attends ce moment...

Il me regarde interloqué que je parle sa langue et réponds d'une voix mal assurée.

-Vous êtes les vikings !! J'ai de l'or !! Je vous donnerai ce que vous voudrez si vous nous laisser vivre ma femme et moi !!

-La grosse est donc devenue ta femme ? Hum, j'aurais dû m'en douter... Les vipères vont si bien ensemble !

Sans attendre de réponse, je me jette sur lui, arme en avant, lui assenant de puissants coups d'épée, la rage coulant à présent dans mes veines, esquivant ses faibles attaques avec une facilité déconcertante, entaillant ses bras et ses jambes à de multiples reprises. Avec chaque blessure que je lui inflige, je sens les miennes se refermer un peu plus et n'en suis que plus forte, plus audacieuse. Quant au bout d'un temps qui me semble trop court il s'effondre au sol désarmé et à bout de souffle, je vais m'assoir à califourchon sur lui, plaquant ma lame effilé sur sa gorge, bloquant ses bras de mes jambes, savourant ma victoire. J'ai mis le monstre à terre !

En me penchant vers son oreille, j'ai un haut-le-cœur en sentant son odeur. La même qu'autrefois lorsqu'il était couché sur moi...

-Il y a longtemps, je lui murmure en refoulant mes larmes, tu as fait assassiner ton épouse... Tu y as même pris part ! Et non content d'avoir volé la vie d'une femme merveilleuse, tu t'en aies pris part la suite à une gamine... Tu l'as battue, l'as violé ! Toi et les autres avaient réduit la vie de cette enfant à l'enfer ! Mon cher Dagberd, tes crimes ne sont pas tombés dans l'oubli... Je remercie les Dieux qui m'ont accordé la chance de te retrouver sur ma route, moi qui te croyait mort afin que j'aie ma vengeance. Tu m'as tout pris... J'ajoute avec des larmes de rage, appuyant plus fort sur la lame tandis qu'il tente de se débattre, transperçant doucement sa carotide qui se met à saigner abondement. Ma tante, mon innocence, ma joie de vivre...

Je mets mon visage à quelques centimètres du sien et appelle Björn et Thorolf en le regardant dans les yeux tandis qu'ils accourent.

-Tu vas mourir de mes mains... Mais avant, je vais te faire souffrir... Mon oncle ! Tenez-lui les mains !

Je me redresse fièrement tandis qu'il réalise ce que je viens de lui dire et semble estomaqué en regardant Björn et Thorolf lui bloquer les bras. Il tente alors de m'amadouer...

-Arlun ?! Est-ce bien toi ?! Mais je t'ai cru morte !! Le jour où ce Ragnar a attaqué le village, j'ai cru qu'il t'avait emmenée et tuée ! Mon enfant, j'ai eu tellement de peine...

-De peine ?! Je hurle en lui envoyant un coup de pied dans le nez, profitant que Björn et Thorolf le maintienne fermement. De peine, alors que chaque jour tu venais me violer et me battre jusqu'à ce que je m'évanouisse ?

Mû par la rage, je me jette de nouveau sur lui et le lacère longuement de ma courte d'épée, visant son ventre, ses jambes, son sexe alors qu'il hurle de douleur. Mais, je n'entends pas ses hurlements, je ne sens pas son sang chaud et visqueux qui gicle sur moi, sur mon visage, tandis que je continu à m'acharner sur son corps. J'entends les cris d'une enfant qui hurle de douleur, j'entends ses pleurs... Je ressens sa douleur infinie alors qu'on la frappe et la viole... J'entends mes propres cris...

-Arlun ! ARLUN !! IL EST MORT !!!! Fait une voix au timbre grave tandis qu'on me tire en arrière et que je me retrouve debout, toute pensée rationnelle m'ayant quittée. Je ne suis que rage, que vengeance...

-Arlun, nous devons par...

Je n'écoute pas la voix grave et regarde la masure de bois face à moi. J'enlève ses mains de sur mes bras et avance vers la porte derrière laquelle se cache un autre de mes cauchemars. J'abaisse le loquet et pénètre comme en transe dans la maison de mon enfance, dans cette bicoque de l'horreur et regarde autour de moi sans même chercher à reconnaitre les lieux.

Elle est là, à genoux devant la cheminée, à prier son dieu crucifié sur sa croix. Elle se tourne en entendant du bruit et pousse un hurlement strident en me voyant, se relevant prestement en se signant. J'avance vers elle à pas lent, tandis qu'elle recule effrayée, regardant la lame teintée de sang que je tiens en main.

-Te souviens-tu de moi Mère ? Dis-je doucement en souriant cruellement à la grosse bonne femme qui se signe encore et encore. Te souviens-tu que tu étais censé m'aimer et me protéger? Te souviens-tu d'avoir préféré ton dieu à moi et fait de ma vie un enfer ? DIS-MOI !!! TE SOUVIENS-TU D'ARLUN ?? Je lui hurle à la face en lui tenant la gorge d'une main pour qu'elle me regarde.

Elle se met à pleurer en continuant à réciter ses prières les yeux fermés.

-Regarde le démon que tu as mis au jour ! Regarde la femme que je suis devenue grâce à ceux que vous appelez barbares ! REGARDE !!!!!

Je lâche mon arme et sers sa gorge à deux mains, en hurlant qu'elle me regarde, qu'elle voie que malgré sa haine pour moi, que malgré tout ce qu'elle a fait pour me faire mourir, je suis bien vivante... Mais elle garde les yeux fermés et j'ai beau serrer son cou de toute mes forces pendant longtemps, elle refuse de les ouvrir et de me voir...

Au bout de ce qui me semble une éternité, je desserre les doigts et voie son corps tomber au sol, inanimé... La grosse est morte... Plus aucun souffle ne soulève sa poitrine et je tombe à genoux à côté de son visage, récupérant ma lame d'une main tremblante, sans ressentir aucune émotion. En serrant les dents, je découpe froidement ses paupières, dévoilant ses yeux globuleux et vitreux qui fixent le toit et je me penche au-dessus d'elle...

-Maintenant, tu me vois.