o4. ACHILLE

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Ghosts, Banners.

ACHILLE SUPPORTAIT DE MOINS EN MOINS ce travail qui le tuait chaque jour un peu plus. Les raisons de son rôle dans ces bas-lieux étaient obscures. Il n'avait que quinze ans et il se tuait à la tâche depuis qu'il en avait treize. Cependant, cela faisait bien plus qu'il n'avait pas profité de la chaleur du soleil sur sa peau, de l'odeur de la pluie avant un orage, de l'herbe fraîche chatouiller la plante de ses pieds.

La dernière fois qu'il avait respiré le grand air, c'était en 2279. Alors, sa famille, ainsi que celles d'Elior et de Hade, venaient d'être escortées de la forêt jusqu'à une zone peuplée en France habitable, zone appelée l'Arcade. Ils avaient été séparés de leurs parents et avaient été contraints de patienter au milieu d'inconnus.

Une petite fille qui n'avait pas plus de huit ans était venue à leur rencontre. D'ordinaire peu réceptif aux personnes qui lui étaient étrangères, Achille avait eu un bon pressentiment envers cette enfant. Elle n'était pas corrompue, elle était juste et ouverte. Elle ne demandait qu'à se lier d'amitié et à apprendre, sans se soucier des couleurs de leurs cheveux ou de leurs peaux.

Ce n'était pas comme tous ces adultes. On pourrait croire que c'étaient les plus riches qui étaient les plus dédaigneux, mais cela n'était pas la vérité absolue. Ils les avaient tant dévisagés sans se soucier de la bienséance. Des enfants chuchotaient dans leurs dos, les pointaient du doigt comme de vulgaires excentricités.

Ce ne fut pas le pire aux yeux d'Achille, qui, pourtant, avait ressenti un insécurité grandissante dès cet instant. Non — cela concernait son frère. Un garde avait fait son apparition tandis qu'ils s'amusaient et riaient. Il avait l'air hostile et antipathique. Il leur avait annoncé qu'il devait les conduire vers une destination dont ils ignoraient tout.

Tous les enfants s'étaient échangés une étreinte collective en guise d'adieu. Car c'était bien cela; il ne fallait pas se voiler la face. Le garde devait être impatient car il avait tiré Roan brutalement sans attendre qu'ils soient tous prêts. Achille avait tenté de le faire lâcher son frère, mais le garde n'écoutait pas. Le garçon aux cheveux de blé — à l'opposé d'Achille et ses cheveux corbeau — l'avait alors mordu au poignet sans ménagement.

Ce n'était pas la bonne chose à faire, pas du tout. Le garde avait réagi au quart de tour et l'avait giflé comme il n'avait jamais frappé personne. Le garçon roula au sol, en état de choc et à vif. Peut-être une boule de culpabilité avait un instant serré le coeur du garde, mais il ne l'avait pas laissé paraître.

Achille, habituellement manquant de compassion, se laissa tomber au chevet de son frère. Des sanglots le prirent et le secouèrent de légères convulsions, inconsolable. Il avait eu si peur, tellement peur pour la vie de son frère. Il avait envie de lui reprocher son geste provocateur, mais était-ce réellement lui le fautif?

Il renifla, pris d'une profonde tristesse. Leur ancienne vie lui manquait tant. Pourquoi ne pouvaient-ils pas rester vivre dans leur forêt? Pourquoi était-ce interdit? À cause du Voile et des fermetures des frontières?

Il n'était alors qu'un enfant, mais sa maturité précoce et son sens de la réflexion lui permirent d'affirmer avec assurance une chose: les ennuis ne faisaient que commencer. Ils n'allaient pas sagement être placés dans un centre et fréquenter une école publique. Et pourtant, il n'aurait jamais pu imaginer un tel avenir.

Dès leur arrivée, ils avaient été contraints de revêtir une sorte de combinaison kaki trop grande pour eux mais qui allait « s'ajuster avec le temps ». Les leurs avaient été soigneusement éloignés d'eux.

Ils n'avaient pas revu leurs parents. On leur avait appris qu'ils avaient été transférés vers un quartier de travail dans le Sud de la zone du Milieu. Or, leurs yeux trahissaient la vérité: ils avaient été condamnés à mort, et la sanction avait été irrévocable. Le seul qui sut, ou du moins se douta de la vérité, fut Achille.

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