43. LAÏA

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All the king's men, The Rigs.

LAÏA S'ÉTAIT MISE À VISITER DE SON CÔTÉ le centre commercial depuis son arrivée. Elle ne pouvait plus supporter l'atmosphère funeste du hall où se disséminaient à chaque coin des visages assombris par le deuil et le chagrin. Les corps de ceux et celles qui avaient succombé à leurs blessures une fois ramenées au centre commercial, ainsi que les rares corps déjà froids transportés des entrailles de la terre jusqu'au monde du dessus, avaient été sommairement enterrés au crépuscule du mercredi.

Ils avaient été mis en terre en ligne, et Laïa s'était fait la réflexion qu'ils ne devaient guère de soucier de l'être en colonne, en triangle, en désordre, ou quoi que ce fût, puisqu'ils étaient morts. Cependant, ce n'était pas un moment pour tant de légèreté d'esprit, même la température pesait sur leurs crânes, pour plus les assommer et leur faire perdre tout jugement. Les larmes brouillaient les yeux de l'assemblée présente, des poignées de mots avaient été prononcées pour honorer leur mémoire, à eux, et à ceux et celles dont les corps n'avaient pas quitté les souterrains.

L'enterrement avait été laborieux, long, étrange, ou alors cela était toujours semblable; la mise en terre durait, comme si un ultime espoir futile flottait dans l'air: l'espérance que tout ceci n'était qu'un cauchemar duquel on allait se réveiller. Suite à cette cérémonie, ils avaient quitté les lieux, laissant derrière eux des morceaux qui ne laissaient pas de mouiller la terre de leurs larmes, de l'incendier de leurs regards fiévreux, de l'accabler de leurs maux.

Laïa les avaient reconnus; peut-être qu'être jeune rendait la chose plus dure à avaler, que grandir agissait comme un pansement contre la peur de la mort. Quoi qu'il en soit, les deux garçons, qui portaient tantôt le brancard où reposait Elior, étaient restés plus longtemps sur les fraîches tombes, leurs sanglots se mêlant à la bise tiède de ce soir d'été qui les enveloppait tout entiers.

Ils étaient alors pareils à des êtres mystiques, de ceux qui rôdent auprès d'une sépulture en paraissant y être tout à fait à leur place. Mais leur jeune âge trahissait leur être et la fragilité de leur état avait tôt fait de rallumer la réalité dans leurs yeux, de les arracher d'un élan brusque de leurs songeries salines.

C'était ainsi qu'il fallût se résigner à continuer d'avancer, malgré les pertes nombreuses. Pourtant c'était comme s'ils n'étaient pas véritablement morts, comme si leur souvenir hantait encore les lieux et les pensées, rendant l'atmosphère anxiogène pour quiconque y évoluant. Laïa supposait qu'il fallait bien ne pas souffrir trop de ces pertes pour se rendre compte du linceul qui avait recouvert leurs existences.

De ce fait, la jeune fille avait pris la décision d'arpenter le bâtiment décrépi par l'épreuve du temps. Phoebe ne quittait plus le dortoir, à moins d'y être contrainte. En effet, depuis qu'elle avait taché les draps de leur lit, qu'elle avait senti couler sur elle des regards perplexes, l'adolescente s'était vu habitée par l'embarras et la crainte d'empourprer quoi que ce soit d'autre dans cet endroit inconnu. Elle avait précisé à Laïa qu'une fois ses règles arrivées à leur fin, elle serait apte à l'accompagner dans ses escapades.

Laïa n'avait pas insisté. Elle savait que cela avait été éprouvant pour son amie cette panique ressentie à la vue du sang; à la perspective que la nouvelle fasse le tour du bâtiment; à la constatation brutale qu'elle n'avait pas en sa possession de protections périodiques. Alors qu'elle était restée prostrée aux toilettes situés à côté des douches — les mêmes qu'elle avait utilisées à son arrivée —, elle avait exhorté Laïa à lui dénicher quelque serviette auprès d'une personne étant elle aussi réglée. Phoebe lui avait assuré qu'une seule lui suffirait certainement, puisqu'étant en tissu et de fait lavable, elle se débrouillerait pour la rincer chaque jour.

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