44. THOMAS

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City of the Dead, Eurielle.

TOUS AVAIENT QUITTÉ LE DORTOIR, attirés par la frénésie dans le hall, noyé par le flot de lumière filtrant à travers les vitres du toit. Thomas avait jeté un oeil par-dessus son bras pour apercevoir la chancelière haranguant quelque nouvelle aux rebelles. À la vue du roulis croissant de leurs pieds sur le sol et la flambée dans leurs yeux, il devait s'agir de quelque chose d'important, qui avait par ailleurs fait aussitôt revenir sur ses pas Elisa.

Le jeune homme enfouit de nouveau sa tête entre ses bras qui entouraient ses jambes ramenées contre lui. Il s'était adossé contre le mur du fond, avec juste le sol inconfortable comme siège, mais il ne le sentait pas. Thomas ne savait pas comment ressentir de façon rationnelle, comme il y parvenait auparavant. Comment tout avait pu dégringoler si rapidement?

Il se souvenait du dimanche, de sa gorge sèche comme le lit d'une rivière en été, de ses yeux gonflés, du vide dans son esprit qui le mettait presque mal à l'aise. Le garde lui avait alors fait implicitement comprendre le traitement qu'il avait subi, et il ne lui restait plus qu'à assembler les pièces du puzzle. Cependant, Thomas ne le voulait pas, il préférait encore ne rien savoir, ne rien savoir puis reprendre le cours de sa vie. Le mal était fait, qu'est-ce que cela aurait changé qu'il sache ou non, excepté le faire souffrir davantage? Son existence était d'ors et déjà assez laborieuse et épuisante pour que ce poids ne lui pèse.

Tout allait toujours de travers, chaque pas qu'il croyait faire en avant était récompensé d'un coup de poignard dans le dos. C'était un éternel recommencement, il ne pouvait se rapprocher d'une personne sans que cette dernière ne vienne à endurer de la douleur par la suite. Sa mère, Arthur, Elior, à présent. Lui-même.

Son esprit était toujours embrumé, mais il savait que le garde avait dit la vérité. Ces hommes lui avaient fait quelque chose, ils l'avaient rendu ivre mort afin d'abuser de lui à leur bon vouloir. Tant de questions restaient pourtant sans réponses; mais Thomas ne savait s'il voulait les connaître ou qu'elles restent à jamais inconnues.

Était-ce lâche que de choisir de ne pas savoir? De repousser la souffrance avant qu'elle ne nous frappe, au lieu de l'affronter? Thomas s'en souciait guère. Il avait toujours été lâche, il n'était pas courageux, il se cachait derrière les autres avec ses grands sourires qui dissimulaient un trop-plein d'incertitudes. Or dans ce cas précis, la victime était lui-même alors il pouvait bien être lâche une fois de trop puisqu'il ne mettait personne de son entourage en danger.

Malgré tout, ce n'était pas aussi simple de refouler toutes ces pensées, car elles revenaient sans cesse, elles lui apparaissaient chaque fois qu'il venait à y songer par mégarde, sans vraiment le vouloir. Thomas avait arrêté de penser à ce trou dans sa mémoire, à ces sensations étranges, puis son esprit se concentrait dessus à nouveau, et tout revenait d'une coulée de boue infâme.

C'était bien ce qui différait de toutes les autres fois: il ne pouvait pas fuir ses propres pensées, elles vivaient en lui, avec lui, continuellement, à peine tues un instant derrière les nuages ou quelques heures par Morphée. Il ne comprenait pas pourquoi il devait y penser à chaque minute, son cerveau ne pouvait-il pas passer à autre chose au lieu de lui jeter encore et encore au visage ce souvenir empoisonné? Le jeune homme se lamentait d'être harcelé par ces songes tout le jour, et plus encore lorsque les ténèbres tapissaient, non plus seulement son être, mais aussi le bâtiment entier.

Car c'était bien la nuit que c'était le plus dur, parce que l'obscurité était l'amante de tous les cœurs assombris, ensanglantés, troués, vides de lumière et de rêveries. La nuit accueillait les mirages et les ombres des monstres que le jour abritait; ce n'était plus que des apparences qui flottaient devant les yeux, mais celles-là restaient brodées au coin des pupilles.

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