16. GABY

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Run boy run, Woodkid.

CELA FAISAIT LONGTEMPS QUE GABY NE S'ÉTAIT PAS AUTANT passionnée pour un cours. Elle s'était prise à divers moments à vouloir toujours en apprendre plus, et se demandait d'où venait cette subite attention.

Peut-être l'avait-elle en elle depuis le début, mais qu'elle avait besoin du bon professeur pour provoquer le déclic en elle. M. Monier y était parvenu. D'un autre côté, il était le premier qui venait à exposer des vérités qui portaient la marque des mythomanes. L'âme furieuse dont elle était dotée s'était agitée et l'avait submergée. Cet esprit de bataille sans répit pour la justice avait été étouffé jusqu'alors, car cela ne concordait pas avec les carcans de la société.

Les habitants devaient penser la France comme un grand et beau pays, qui parvenait à survivre malgré le Voile parce qu'elle en avait la force. Les critiques n'étaient pas interdites dans les pensées, mais il n'était pas recommandé de les déclarer à voix haute. Le voisin pouvait être outré des propos alors même qu'il croyait en leur justesse lui aussi.

Or, son professeur n'avait pas eu la moindre crainte de la réaction de Gabrielle. Il s'en était même joué, en la provoquant avec ses révélations. La première fut la manière d'extraire le Caelisya, pierre indispensable dans leur société de 2287 et découverte au vingt-et-unième siècle.

L'homme lui avait appris que ce n'était pas des machines, comme enseigné et revendiqué par l'État, qui permettaient l'extraction, mais des esclaves. Sa première pensée fut que c'était trop grotesque pour être vrai. Ils vivaient dans une époque évoluée, loin de l'esclavage des siècles précédents.

Ensuite, elle avait pris un temps pour mieux y réfléchir et reconsidérer cette nouvelle information. Gaby s'était remémorée des souvenirs de ses cours d'histoire, et s'était listée des esclavages déguisés des siècles précédant le sien. Dans le cadre de la seconde guerre mondiale, les juifs avaient subi un dur esclavage qui les menait souvent à l'issue mortelle.

Le siècle suivant, un esclavage masqué et peu raconté sévissait. Celui des populations pauvres, mais possédant des matières premières rares et indispensables sur leurs terres. L'exemple du cellulaire devait être le plus expressif. Pour le produire était demandé l'usage de métaux provenant de l'extraction de ceux-ci dans des lieux dangereux et risqués. Ou encore celui des petites mains tisseuses des vêtements vendus dans les grandes enseignes. Tous et toutes étaient payés, bien qu'ils l'étaient  avec une valeur médiocre.

Mais les esclaves de ce siècle bientôt achevé ne recevaient aucun argent pour le travail accompli, si ce n'était la récompense d'être toujours en vie. La plupart des travailleurs dans les souterrains avaient dérogé à la loi ou ne méritaient pas leur place dans la société.

Néanmoins, certains étaient loin d'être fautifs. Afin de garder les zones actives, il n'était pas rare que des personnes soient enlevées à la surface puis asservies en esclaves. Pour qu'elles ne paniquent pas, un simple lavage de cerveau était utilisé.

Gabrielle avait alors assemblé les pièces du puzzle. Elior, Roan, Hade et Achille ne passaient pas une vie paisible à se rendre au lycée et à vagabonder à l'air libre. Ils n'étaient pas conformes au Traité de 2242; ils avaient vécu au-delà des frontières et ils n'auraient certainement pas pu s'intégrer à ce modèle de société strict et moderne.

Ils avaient connu un tout autre destin et étaient devenus de jeunes esclaves qui se tuaient à l'extraction du Caelisya. Gaby ne savait à partir de quel âge ils avaient commencé à exercer cette fonction, mais la pensée des quatre garçons suant sang et eau, sales et pâles, lui tordait l'estomac.

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