35. HARRY

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Friction, Imagine Dragons.

LE GARDE CADET FROTTA SES MAINS MOITES sur son pantalon de travail. Il savait que ce moment devait arriver, qu'il allait endurer les foudres accusatrices, mais il ne pensait pas les recevoir du garde en chef lui-même.

Ce dernier, Chaval, avait le rouge qui lui montait au visage, non pas en réponse à la chaleur ambiante, mais par expression de sa colère suprême. La rage avait pris possession de lui, voyait à travers ses yeux. Harry le trouvait déjà odieux et hostile, cependant, Chaval avait fait en sorte de devenir une version encore plus détestable.

Le garde en chef vociférait sur tous, il crachait sa haine envers Elior, envers la jeunesse, envers les travailleurs qu'il jugeait dissipés. Ses émotions le rendaient aveugle de toute possibilité de clémence, de rédemption, de compromis. Tomber sous les coups d'un adolescent était loin de redorer son image et ses nerfs étaient à deux doigts de céder; les gardes allaient en pâtir les premiers.

- Putain de bordel! Vous n'êtes qu'une foutue bande d'incapables, de bons à rien pour laisser filer un gamin de seize piges! Je pourrais vous tuer tous sur le champ pour avoir commis un tel écart, je vous crèverais un par un, tous, et je vous laisserais pourrir ici, puisque vous préférez que lui vive plutôt que votre chef ne survive et soit défendu! Ma vie ne vaut pas plus qu'un vaurien d'esclave, hein? Je pourrais faire un rapport sur le champ et vous faire renvoyer, vous faire passer du côté des esclaves! Je sais pas ce qui me retient, aboya le garde, les yeux fous.

L'ensemble des gardes étaient figés sur place, chacun dans un coin de la pièce, certains par petits groupes de deux ou trois. Ils savaient que Chaval ne les tuerait ni ne les ferait renvoyer puisqu'il avait trop de fierté pour de telles bassesses. Cependant, il était tout à fait capable de casser la figure de l'un d'entre eux sans entacher son honneur; et Chaval avait plus que besoin de se défouler.

Aucun des gardes ne souhaitait faire les frais de la folle fureur de Chaval. D'ailleurs, chaque garde avait un nom en tête, le nom du garde qui détenait le plus haut taux de culpabilité dans cette histoire: le garde cadet. Ils ne le dénonceraient pas, il n'était pas question de trahir aussi ouvertement l'un des leurs, mais ils espéraient pourtant que Chaval déploierait sa colère sur Harry et non sur eux, qui estimaient être moins responsables dans la fuite d'Elior.

Harry, quant à lui, était debout dans un coin de la pièce, son dos frôlant le mur. Il savait les risques qu'il encourait en aidant l'adolescent à prendre la fuite, il les acceptait et il referait exactement les mêmes choix s'il devait recommencer. Le garde avait conscience de se trouver du côté des bourreaux en exerçant cette fonction, il se consumait de regrets pour des actes qu'il n'avait pas osé commettre, pour des paroles qu'il n'avait pas prononcées, alors il devait se rattraper. Harry voulait enfin agir en honnête homme.

Finalement, comme s'il avait entendu les prières silencieuses des gardes, Chaval, un sourire carnassier sur les lèvres, chercha du regard l'un des gardes. Lorsqu'il l'eut trouvé, tentant de se faire tout petit dans un coin de la salle, le garde en chef fonça droit sur lui. Harry se recula, mais son dos frappa le mur: il était pris au piège.

Chaval l'attrapa par le col de sa veste et le souleva de quelques centimètres du sol, d'une force étonnamment puissante pour un homme encore inconscient une heure auparavant. Il le plaqua sans ménagement contre le mur et concentra toute sa rage dans ses yeux, comme s'il eut pu lui arracher sa vie de son regard.

- Sale petit merdeux. C'est pour ça que les jeunots comme toi sont jamais les bienvenus, vous êtes la honte du pays, même pas capables de garder un gosse! Qu'est-ce qui me dit que t'es pas de mèche avec lui, hm? Tu pourrais très bien être un foutu traître, un vendu. Je te fais pas confiance, Hardeu, t'es louche, tu l'as toujours été. Tu rates pas une occasion de défier mon autorité, tu te joins pas à nous, tu restes à l'écart. Ton manège, on l'a bien vu, Hardeu, avec le gamin aux cheveux noirs. On est pas dupes. T'es le seul qui l'a pas touché, t'es jamais là quand lui est présent. On t'a surpris à déposer un putain de bouquin pour lui! Juste pour ça je pourrais te tuer de mes mains, ici, parce que c'est comme ça qu'on doit leur régler leur compte aux tapettes. Tu me débectes, Hardeu, insista-t-il sur le terme tout en continuant à le fixer dans les yeux. Sauf que, tu vois, t'es même pas un homme, alors je vais pas me salir les mains à frapper un dégénéré dans ton genre. Je veux que tu disparaisses, c'est bien simple, que t'ailles ailleurs, que tu te fasses soigner, que t'ailles te pendre, j'en ai rien à carrer tant que tu fous le camp, c'est bien compris? Je veux que ce soir, t'aies débarrassé le plancher.

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