54. THOMAS

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Soldier, Fleurie.

C'ÉTAIT UN RETOUR À LA CASE DÉPART. Ils étaient de retour dans les souterrains, à nouveau, et pour longtemps. Thomas et les autres garçons, avec qui il avait partagé le même secteur, le même dortoir, la même vie depuis plusieurs semaines, avaient été séparés et éparpillés parmi les divers secteurs.

Les brèches avaient été obstruées, les corps froids retirés où qu'ils fussent, le sang retiré autant que faire se peut. C'était comme si les derniers événements n'avaient jamais eu lieu, comme si tout n'avait été que le fruit de leur imagination désespérée.

Pourtant, des éléments permettaient de ne pas oublier que tout avait été réel, que l'espoir avait jailli dans les cœurs de tous et toutes. Tout d'abord, les adolescents étaient confrontés à de nouvelles têtes, de nouveaux lieux — pour la plupart — auxquels ils devraient se réhabituer, de nouveaux gardes qui ne les connaissaient pas et les méprisaient davantage, suite au bouleversement des derniers jours.

Il avait fallu une semaine pour préparer les souterrains pour accueillir les esclaves, pour dresser des listes de répartition dans chaque zone de manière équitable, en prenant garde à séparer au maximum ceux en provenance des mêmes secteurs. Durant cette interminable semaine, les prisonniers étaient restés cloisonnés entre quatre murs, les mêmes qui les entouraient depuis leur arrivée dans la Tour Verte.

Il ne leur était pas permis de quitter la pièce ou de marcher un peu dans le couloir, de s'aérer l'esprit. Du moins, les détenus en avaient-ils eu seulement l'autorisation lorsqu'ils avaient dû se rendre à leur interrogatoire individuel unique, entretiens étalés sur la semaine. Les examinateurs étaient des adultes — homme ou femme, selon l'adolescent en face — aux tenues irréprochables, aux visages sévères, aux voies claires.

Ils parlaient tels des automates programmés pour débiter des suites de mots, sans se laisser attendrir par des plaintes ou sans perdre leur sang-froid, si le détenu venait à hausser le ton.

Thomas avait dû traverser un long couloir le jour où son tour fut arrivé, un couloir baigné de lumière, comme un fleuve, sur les bords duquel s'attardait la cour des dirigeants. Les employés ne le regardaient pas, ils conservaient leur attention tournée sur quelque autre sujet, ce qui était une souffrance pour le jeune homme.

Ces adultes ne pouvaient ignorer ce qui se tramait au cœur de ce bâtiment, jusque dans les sous-sols du pays. Ils voyaient des dizaines de jeunes personnes traverser cette route à chaque heure du jour ; qui détourne les yeux face à un tel spectacle ?

Leur indifférence était un coup de poignard dans sa chair brûlante de chagrin, une lame qui tournait dans sa plaie, encore et encore, à chaque individu qui agissait comme s'il ne voyait pas ce qu'il se passait. Thomas aurait aimé les sommer de le regarder, de contempler dans ses yeux son être qui déclinait, d'oser affronter la personne qu'ils laissaient mourir sans agir. L'envie lui avait pris, d'ailleurs, d'aller jusqu'à eux, de les agiter par les épaules, de leur implorer de chercher en eux la dernière once d'humanité.

Cependant, la force l'avait quitté. Ces pulsions étaient des échos de l'ancien Thomas, celui qui ne croyait pas sortir des souterrains un jour, mais qui n'était pas encore assez brisé pour prendre ce fait pour réalité. Parce que, même s'il pensait que les galeries seraient les derniers lieux que ses pieds fouleraient, un pénible et entêté espoir avait continué à palpiter dans un coin de sa tête.

À présent, ce sentiment avait été écrasé au pied par le gouvernement, par les policiers, par les gardes, qui l'avaient violemment remis à sa place. Une fois avoir intégré les souterrains, on ne les quittait jamais vraiment. Pour Thomas, cela s'était matérialisé par un retour réel dans ces galeries. Contrairement à d'autres qui furent rattrapé par leur destin funeste lorsqu'ils étaient revenus dans le monde extérieur, l'adolescent avait été rattrapé par un destin bien plus sordide : dans les sous-sols il vivrait, dans les sous-sols il mourrait.

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