42. HORTENSE

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Should have know better, Sufjan Stevens.

TW: Dépression, mentions de viol; amnésie traumatique; abus.

LA JEUNE FEMME ÉTAIT INQUIÈTE. C'était comme si une vague de dépit et de désespoir s'était abattue parmi les anciens travailleurs, ses protégés. Cela s'ajoutait à la tension générée par la situation générale, puisque les rebelles étaient entrés, par le biais d'Elisa, en communication avec le gouvernement, afin d'établir leurs buts et revendications. Les Éternels avaient souhaité patienter, observer un jour ou deux les réactions du peuple, espérant que les dirigeants se manifesteraient les premiers auprès d'eux.

Cela arriva le vendredi dans la matinée: Elisa se trouvait alors à Arlet, une ville pilier de l'Arcade, quand elle reçut un appel en provenance du siège du gouvernement. Lorsqu'elle décrocha, un secrétaire la mit en ligne avec un ministre, avec qui elle discuta quelques dizaines de minutes.

La chancelière revint parmi les rebelles tard dans la matinée, aussitôt qu'elle eut achevé sa conversation. Elle ne s'inquiétait pas de se savoir connue comme faisant partie des Éternels, elle avait d'ors et déjà été évincée du gouvernement des années auparavant et ses idéaux étaient connus. Elisa ne manquait pas d'évoquer par moments les rebelles, les bonnifiant, et les dirigeants eurent tôt fait de l'étiqueter comme membre influente des rebelles.

Hortense s'était jointe à la réunion expresse qu'elle avait donné à son retour: elle voulait connaître l'avis du gouvernement. La chancelière leur apprit que les dirigeants lui avaient déclaré comprendre leurs souhaits, leurs actes, leurs revendications, mais qu'elles étaient inacceptables. Il n'était pas question de remettre en question le mode de fonctionnement qui se portait bien depuis plus de cinquante ans, au risque de mettre en péril le pays et sa pérennité.

Elisa avait protesté en rappelant qu'il était inhumain d'exploiter des personnes, d'autant plus des enfants: ils avaient déclaré que les souterrains étaient une prison comme une autre et que les malfaiteurs devaient payer pour les délits ou crimes commis, en accord avec la Loi et le Traité de 2242.

— Ils nous menacent de nous dissocier de la manière forte, de récupérer les jeunes eux-mêmes si nous ne les leur rendons pas. Ils pensent qu'ils sont leur propriété, ils pensent qu'ils nous effraient, mais ce sont eux qui ont peur. Rendez-vous compte! Ils craignent la révolution, dans ce pays où elle est son histoire! Ils ne veulent pas que les français et les françaises découvrent ce qui se trame dans les souterrains. À ce jour, ils ne connaissent pas les Éternels, ils ne savent pas le réel but de ces bombes qui ont explosé ce mardi, ils nous prennent pour de simples fauteurs de troubles, des vandales! Si les dirigeants ne veulent pas cesser cet esclavage qui n'a que trop durer, s'ils veulent continuer à se jouer de nous de leurs êtres mythomanes, alors cela suffit! Nous n'allons pas non plus céder, nous allons nous battre, nous allons informer la population de ce qu'il se passe, nous allons libérer nos soeurs et nos frères qui triment sous nos pieds! Nous allons faire briller la liberté comme elle n'a jamais brillé auparavant. Le futur est entre nos mains, il n'attend que nous! Nous n'avons que trop attendu.

Hortense n'avait plus écouté à partir de ce moment. Elle s'était éclipsée presque aussitôt que s'achevait la tirade de la dirigeante des rebelles. L'infirmière ne savait que penser. C'était en effet une très belle vison que de briser les chaînes de celles et ceux qui sont asservis sous terre, mais que se passera-t-il le jour où les dirigeants ne se soucieront plus de prendre des pincettes et contre-attaqueront sans détour? Seront-ils réellement de taille, alors qu'ils abritaient en leur sein des dizaines d'enfants et d'adolescents encore à bout de forces?

Hortense ne pouvait s'empêcher son esprit de soulever ces questions. Et quel bouleversement pour le pays lorsqu'il faudra s'organiser pour descendre, à nouveau, dans les galeries afin d'extraire le précieux Caelisya, qui constituait en effet la source de la majorité de leur oxygène! Le gouvernement n'aura d'autre choix que de s'atteler à la conception de machines et d'engins pour remplacer la main-d'oeuvre humaine, ou alors employer cette dernière de manière respectable et éthique.

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