48. ELISA

31 8 14
                                    

Castle, Halsey.

— VOUS SAVEZ QUE VOUS ALLEZ MOURIR, n'est-ce pas?

Les mots avaient été prononcés, secs, francs, sans une once d'ironie. Le chancelier les avait lancés à Elisa, non pour l'accabler, mais davantage à titre d'informations, de chef à cheffe.

— Qui ne meurt pas, de toute façon?

Elle avait, comme tous les autres rebelles, dormi pendant près de douze heures, sous l'effet de sédatifs ingérés avec la nourriture qui les contenaient. À son réveil, elle s'était sentie déboussolée, prise d'un sentiment d'angoisse et de confusion, mais sa résilience acquise au fil des années avait bientôt calmé son esprit tiraillé.

En effet, ils avaient été trahis; certes, ils avaient été emmenés par la police; sans doute ils ne pourraient mener à bien leur projet, et ils mourraient sans que de réels changements n'aient eu lieu. Cependant, ils partiraient le sourire aux lèvres d'avoir défié les dirigeants, de les avoir assez provoqués pour qu'ils craignent leur puissance et cherchent à les éliminer. Alors, les dirigeants garderaient en tête que le bien ne pouvait être vaincu, même par la mort, qu'il persistait sans s'éteindre jamais, que leur système, lui, n'était pas éternel. Le mal était vulnérable et avait flanché.

La chancelière avait été tirée de sa salle de pénitence, occupée par une poignée de jeunes femmes rebelles. Néanmoins, il en manquait — étaient-elles autre part ou avaient-elles été tuées durant la nuit? Une femme au chemisier blanc et au pantalon de tailleur bleu clair, accordé à la teinte de ses cheveux tirés en un chignon serré, l'avait escortée à travers un couloir d'un blanc criard, pourvu d'une multitude de portes, menant, certaines, à d'autres couloirs. C'était un fabuleux dédale duquel il aurait été difficile de s'évader sans un guide averti et habitué aux lieux.

La femme au visage parsemé de plusieurs rides, particulièrement au coin des yeux et de la bouche, s'était ensuite retrouvée assise en face du chancelier du Milieu, de cinq ans plus jeune qu'elle, dans une pièce ne contenant qu'à peine une table, nue de toute autre ouverture que la porte. Dans l'air grésillait doucement les sources de lumière du plafonnier.

— Certes, nous sommes mortels. Je signifiais par-là que nous prendrons votre vie, nous sommes ceux qui vous ont condamnée.

— Vous ne faites que votre travail, admit la chancelière.

— N'auriez-vous pas aimé vivre plus longtemps? Dites-moi.

— Pourquoi ces questions? Est-ce pour me déclarer que je suis déjà morte que vous m'avez emmenée ici?

Les commissures des lèvres de l'homme s'étirèrent en un sourire amusé. Il connaissait Elisa depuis de longues années, peut-être plus de dix ans. Sa réputation la précédait à l'époque où elle travaillait pour le gouvernement, dans le Milieu, et son nom courait toujours sur les lèvres, même après son exil forcé. La femme était une force de la nature, douée d'une éloquence évidente et des qualités de dirigeante innées. Elisa était née pour bouleverser, et, par-là, elle était faite pour être morte.

— C'était simplement pour vous tenir au parfum. Je voulais vous parler, discuter avec vous. Vous savez que tout le monde vous connaît ici? Vous jouissez d'une grande notoriété, et c'est d'ailleurs l'une des raisons qui a causé votre condamnation.

— Je le sais. Je préfère être connue pour mes actions et mourir pour elles, que de ne pas agir et vivre vieille. N'être que de passage... c'est désolant. Il faut faire que notre présence compte, et je crois avoir réussi.

— Nous ne sommes rien dans cet univers, dans cette galaxie, rappela l'homme, l'écoutant avec attention.

— Pourtant, nous nous sommes donné la peine de créer la civilisation, de construire des villes, des sociétés, concevoir des langues, des traditions, des fêtes, tout un système. En effet, nous ne sommes rien dans cet univers, rien de plus qu'une poussière sur un tapis, mais nous faisons partie d'un tout sur Terre, un tout pour lequel nous ne pouvons nous résigner entièrement à contempler de loin. Quoi que nous fassions, nous faisons corps avec la matrice, nous sommes intégrés à la mécanique humaine par notre simple présence. Nous vivons en les autres, pour les autres, puisque nous sommes un autre pour nous-mêmes également, comme il est établi que nous nous découvrons chaque jour un peu plus sans jamais nous connaître totalement. J'ai choisi de me servir de ma voix, de mon esprit pour aider le monde à progresser sur le sentier de la rédemption. Si je meurs en ayant semé le doute dans même un esprit, alors je n'aurais pas échoué.

MythomaniaWhere stories live. Discover now