28. GABY

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Everybody wants to rule the world, Lorde.

GABRIELLE DONNAIT QUELQUES COUPS DE PIED dans les cailloux qui avaient le malheur de se trouver sur son chemin. Son moral était retombé. Elle se sentait méprisable, forcenée d'une manière plus que négative.

Gaby ne saisissait pas pourquoi elle se comportait comme si ce qu'elle désirait lui était acquis de droit. Elle agissait avec parfois une vaste désinvolture qu'elle ne prévoyait pas, dont elle ne prenait pas conscience jusqu'à ce que les visages de ceux en face d'elle ne lui renvoient les effets de son comportement déplacé. Mais Gaby voulait tout, elle pensait obéir à une morale partagée par tous, elle croyait faire ce qu'il fallait, ce qui était bon, même si les autres ne le voyaient pas dans l'immédiat.

Alors, elle se jetait dans le vide, luttait et constatait le résultat. L'impétuosité faisait corps avec elle, la modelait, s'alliait avec sa parole, la rendant tout autant remarquable que haïssable.

Les rues étaient vides à cette heure, en cette journée où les cours des écoles étaient piétinées par des foules d'élèves, où les bus et les trains filaient contre le vent, comme les protagonistes d'un ballet. Gaby portait son regard quelques fois devant elle, pour cueillir l'agitation humaine ou vérifier qu'elle ne risquait pas de se cogner dans un lampadaire.

Gabrielle respira à fond, levant les yeux vers le ciel. Il n'était troublé que par des nuages qui évoquaient des formes d'autrefois, des animaux. La jeune fille se demanda ce que cela faisait de vivre au rythme des chants d'un oiseau, de ne même plus l'entendre, à tel point il était intégré au fond sonore. Elle songeait qu'elle apprécierait de voir surgir un petit animal au coin d'une rue et de s'arrêter pour le flatter et le saluer. Gabrielle aurait souhaité cueillir des fleurs et les placer dans ses cheveux, ses chaussures, n'importe où tant qu'elles existaient.

Le monde est éphémère, il nous file entre les doigts si lentement qu'on ne voit pas survenir le drame, puis on en vient à dire que c'est arrivé trop vite, qu'on ne l'a pas vu venir. Certes, Gaby comprenait que, par moments, l'on ne pouvait prévoir, mais elle était persuadée que chaque catastrophe était évitable car repérable ou connue par au moins une personne.

Il revient à chacun de se penser responsable du monde, de son intégrité, car par son biais, l'on se trouve responsable de son espèce, de ses proches, de soi-même, et inversement. Refuser de lutter pour lui, c'est nier le berceau qu'il représente, les millénaires qu'il a endurés avec nous foulant son duvet, c'est entraver sa vie future et notre vie future, par extension. Abandonner la terre, c'est laisser tomber la vie, c'est le crime de mener à la mort des innocents de tout horizon.

Gabrielle n'avait cessé de penser jusqu'à rejoindre la place où elle se trouvait déjà des minutes auparavant. Arrivée à son orée, l'adolescente avait eu le temps de ressasser sa culpabilité, de se remémorer le visage de Laïa, chamboulée, de se souvenir de ce Charles et de sa proposition.

Son siège était inoccupé. Gaby reprit un pas léger et s'installa une nouvelle fois à la table du café. Son sac posé dessus et ses bras nonchalamment disposés en travers de lui, Gabrielle comprit qu'elle avait pris sa décision à propos de ce groupe des Éternels. Elle allait accepter.

Le garçon l'avait informée qu'elle avait jusqu'à la fin de la semaine pour donner sa réponse à M. Monier. Gaby sentait depuis le début que son choix serait positif, il n'y avait pas d'autre possibilité. Elle avait été remarquée, désignée pour rejoindre leur groupe, c'était donc que ces personnes se doutaient de sa façon de penser, de son caractère, de sa décision.

Gabrielle ronchonna; elle n'aimait cependant pas que des êtres prévoient ses actes futures, qu'elle paraisse si prévisible à leurs yeux, mais elle ne pouvait s'empêcher d'avoir son ego flatté par cette proposition. La jeune fille venait d'être renvoyée de son lycée, conspuée, victime, et ses parents étaient à un battement de cils de la renier, après l'avoir emmenée loin de chez elle.

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