18. ACHILLE

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La lavande, Pomme.

HADE AVAIT TRANSPORTÉ ACHILLE jusqu'à l'infirmerie sans même la moindre aide du garde qui sifflotait. Il avait dû parfois s'arrêter afin de reprendre son souffle et pour réajuster l'adolescent qui pesait de tout son corps sur lui.

Heureusement, au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient, Achille recouvrait peu à peu son état conscient et échappait au brouillard. Il était toujours meurtri par les coups et le poids des épreuves qu'il venait d'endurer en l'espace d'à peine une matinée.

Le sentant remuer contre ses côtes, Hade murmura, assez bas pour que le garde ne l'entende pas mais tout de même assez fort pour que ses paroles parviennent à l'oreille de son ami:

— Courage, Ach, je t'emmène voir l'infirmière, elle te remettra sur pieds.

Il ne reçut pas de réponse, pas même l'esquisse d'un sourire, et il douta que le garçon aux yeux glacés l'ait entendu. Alors, le porteur, qui sentait la sueur graisser sa peau, poussa malgré lui un râle. Le garde le perçut et accéléra le pas pour marcher à la cadence de Hade.

— Marche en silence, gamin. Je suis censé être en repos alors tu la boucles ou je t'en colle une.

Le travailleur approuva docilement, mais ne s'empêcha pas de proférer toutes sortes d'insanités sur son compte dans son esprit.

— Par ailleurs, j'aimerais causer un peu. Je trouve que vous commencez à vous agiter beaucoup trop pour une bande de troués. Vous croyez quoi? Que vous allez monter une rébellion et sortir d'ici? C'est votre tombeau et on en est les gardiens. Il y en a plein des comme vous que j'ai vu passer — que ce soit ici ou dans un autre secteur — qui croyaient être différents mais qui ont fini par passer l'arme à gauche. C'est à se tordre de rire à quel point vous vous prenez pour des dieux et que vous nous voyez nous comme des minables. Sauf que le truc, c'est que nous, on existe pour de vrai, on a une identité, un nom dans la société d'en haut. Et vous, vous êtes juste des bras et des jambes, des marginaux, des bannis. Vous êtes que dalle, alors tâchez de pas l'oublier.

Hade grimaça et avala péniblement sa salive. Dans son esprit, ceux qui se prenaient pour des dieux et croyaient de ce fait avoir la mainmise sur chaque chose à leur portée étaient les gardes. Il suffisait d'observer la liste des adolescents morts et ce pourquoi ils l'étaient et comment c'était arrivé. En outre, la mort à petit feu qu'ils infligeaient à Achille était une autre illustration parmi tant d'autres de leur perfidie illimitée.

— On va en avoir pour toute la matinée au vu de l'allure à laquelle tu avances, alors bouge-toi un peu, tu veux choco.

Hade dut faire preuve d'un effort surhumain pour ne pas lui cracher des mots qu'il regretterait d'avoir prononcés à voix haute ensuite, ou de lâcher Achille pour faire taire de manière plus radicale le garde.

Il décida de faire preuve de plus de dignité que l'homme en gardant la tête haute et en adoptant un pas plus rapide. Il savait que c'était comme lui obéir, mais le garçon était conscient que le garde cherchait tout autant à le provoquer pour le pousser à commettre une faute préjudiciable. Hade ne s'abaisserait pas au même niveau médiocre que lui en rentrant dans son jeu.

Ils continuèrent à ce rythme soutenu jusqu'à l'infirmerie. Hade n'attendit pas la permission ni ne laissa le garde les annoncer et pénétra directement dans la caverne. L'infirmière Hortense était affairée au rangement et au tri de son matériel. Ne les ayant pas entendus entrer, elle sursauta quelque peu lorsque la voix de Hade s'éleva.

— Bonjour madame, nous nous excusons de vous déranger dans votre tâche, mais mon ami aurait grandement besoin de soins, c'est même assez urgent.

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