36. ELIOR (partie 1)

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Heroes, David Bowie.

LE JEUNE HOMME TRÉPIGNAIT SUR PLACE à l'idée de ce qui l'attendait dans quelques heures à peine. L'idée de retourner dans les souterrains — desquels il s'était enfui — lui retournait l'estomac, mais l'emplissait en même temps d'adrénaline, à tel point il souhaitait tirer ses amis de là.

Il se sentait de plus en plus mal de se trouver à l'extérieur, plus à l'abri qu'il ne pouvait l'espérer, tandis que ceux qu'il aimait, qu'il avait toujours protégés, luttaient encore dans le dédale de souterrains. Par ailleurs, ils couraient un grave danger à présent qu'il n'était plus là, tant à cause des gardes que des autres travailleurs.

La situation avait été tendue après la mort de Roan, mais Elior s'était en quelque sorte substitué au rôle de protecteur que le blondinet endossait malgré lui, étant donné l'admiration et le respect qu'il suscitait. L'adolescent savait qu'il ne lui arrivait pas à la cheville, qu'il ne parvenait pas à se faire aimer des autres comme son ami y parvenait avec brio.

Parfois, il se prenait à s'en rendre malade d'amertume et de jalousie, il se torturait à se demander: qu'est-ce que Roan avait que lui n'avait pas? Évidemment, une question d'une pareille absurdité ne pouvait offrir de réponses, et Elior finissait par s'en vouloir de ressentir tant d'aigreur envers son ami qui, d'ailleurs, lui aurait fait la morale à propos de son souci de constamment vouloir paraître le meilleur qui soit aux yeux de leur entourage.

La vie n'est pas une compétition, le but n'est pas de mettre toutes ses chances de son côté, mais plutôt de chercher à ce que chacun jouisse des mêmes droits. La vie, c'est l'union de toutes les existences pour mieux avancer dans l'inconnu, lui avait-il appris un jour. Pourtant, Elior ne pouvait s'empêcher d'en vouloir à Roan d'avoir été si merveilleux que, même après sa mort, son souvenir persiste dans tous les esprits, l'obligeant à vivre dans l'ombre d'un mort.

Le garçon se demandait par moments s'il n'était pas une mauvaise personne à nourrir de la rancœur envers un ami d'une telle qualité et à tout faire pour que les autres l'aiment. Pourquoi ne pouvait-il pas naturellement être plein d'humilité, de charme, de courage comme Roan? Tous l'avaient aimé instantanément alors qu'il avait le sentiment récurrent de ne faire que fatiguer et décevoir ses proches.

— Elior, ils disent qu'ils sont prêts à partir, l'apostropha Gaby.

Le rouquin perdit le fil de ses pensées et, avec un soupir, se tourna vers la jeune fille aux cheveux gris relevés en queue de cheval. Au moins avait-il peut-être une chance de construire de bonnes bases avec Gaby, même si leurs retrouvailles n'avaient pas été des plus réjouissantes.

— Je suis prêt aussi, annonça-t-il.

— Alors suis-moi.

Gabrielle paraissait tant à l'aise et pleine d'assurance qu'elle semblait s'être préparée toute sa vie pour ce moment. Elior l'aurait trouvée intimidante s'il ne conservait pas le souvenir de cette petite fille curieuse et riant aux éclats dans son esprit.

Les deux adolescents quittèrent d'un pas solennel le centre commercial. À peine quelques personnes restaient à l'intérieur, afin de faire en sorte que personne ne s'y installe durant leur absence. Les alentours n'étaient pas des plus sûrs, l'on ne pouvait jamais savoir qui pouvait s'y cachait.

Plusieurs voitures étaient garées sur le bord de la route cabossée. Toutes comportaient des vitres teintées, mais n'étaient pas toutes du même modèle. Cependant, Elior se fit la réflexion qu'elles paraissaient trop étincelantes pour passer inaperçues, à moins que la réalité fût différente de celle de 2279, la dernière dont il avait le souvenir.

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