31. ELIOR

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Soon enough, Thea.

L'ADOLESCENT AVAIT VU ARRIVER DE DOS GABY de là où il se cachait. Il sentait son cœur battre à une vitesse démesurée et proprement inhumaine. La tension était si grande qu'il aurait encore préféré laisser ce moment en suspens à cet instant et partir sur le champ sans aucune confrontation. Il l'avait approchée d'ors et déjà plus près qu'il ne l'aurait jamais espéré et le garçon craignait de ne pas supporter l'entretien.

Les secondes passaient, les minutes se formaient, quand il aperçut Martial l'invitant à les rejoindre d'un signe de la main. Le moment était arrivé; Elior avait même oublié comme faire pour respirer — ce qui était absurde étant donné que son corps remplissait cette tâche de manière autonome.

Pas à pas, il parvint finalement à la table et faisait face à Martial et à Gabrielle. Il ne la reconnut pas tout d'abord. Tous deux ne s'étaient pas revus depuis bien des années et son visage s'était effacé de son esprit, bien qu'il conservait un doux souvenir de l'impression qu'elle lui avait faite. Ce jour-là, il la trouva plus belle qu'il ne se l'était imaginée lorsqu'elle s'invitait dans ses pensées et ses rêves.

La revoir lui procura un sentiment indescriptible, à la fois un chatouillis au creux du ventre et une boule douloureuse dans la gorge, menaçant de le rendre muet. Son cerveau ne parvenait pas plus à fonctionner que sa langue, que faire, que dire après ne plus avoir vu une personne depuis huit ans?

Gabrielle, de son côté, en était bien plus étonnée encore. Indifféremment de sa perte considérable de poids, du voile de poussière qui maquillait sa peau et du bandage qui dépassait de dessous un bonnet, entourant la moitié de son front en faisant le tour de sa tête, elle retrouvait dans ses traits le petit garçon de son enfance dont l'image n'avait jamais vraiment quitté son esprit.

Cependant, elle n'avait guère envisagé la possibilité de revoir le garçon avant de longs jours, si ce n'était plus. Soit, elle l'avait longuement imaginé, son visage, son apparence, sa voix, leurs retrouvailles, mais il lui sembla que la réalité était radicalement différente. En effet: Gabrielle était vide.

Gaby n'était ni heureuse ni émue ni peut-être même en colère; une fois le choc passé, l'émotion s'était atténuée et elle se rendit compte que, dans l'attente de le revoir un jour, ce qui la motivait, ce n'était point cet espoir, mais l'attente elle-même, la conscience de ce but à atteindre, la possession d'un souvenir rien qu'à elle. Elle espérait pour espérer car elle appréciait la recherche d'un absolu.

Elior n'avait été tout ce temps que le prétexte, le garçon à l'image de tous ses fantasmes d'enfant, pour un désir plus grand encore, si vaste et enfoui qu'il lui avait fallu souffrir de voir son souhait exaucé pour le comprendre.

L'adolescent porta son regard sur elle: elle lui sembla bien fermée, la face désintéressée de l'expression des sentiments qu'elle pouvait ressentir. Elior en ressentit un pincement au coeur — avait-elle oublié qui il était? La pensée lui vint que les faits s'étaient déroulés lorsqu'ils étaient enfants et qu'il était fort probable qu'ils soient tombés dans l'obscur pour Gaby, alors même qu'ils étaient devenus une bouée dans l'océan de malheurs d'Elior. Il lui parut de ce fait égoïste de souhaiter que la jeune fille ressente autant d'allégresse de l'avoir retrouvé que lui en éprouvait.

L'adolescente n'avait pas vécu l'enfer qu'il avait enduré depuis leur première rencontre. Elle avait même sûrement vécu une existence qu'elle pensait similaire à la sienne, ce qui avait résulté en l'oubli même de cette journée de 2279. Gabrielle n'avait certainement pas eu besoin d'un souvenir auquel s'accrocher puisque sa vie n'était pas que labeur et peine.

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