11. ACHILLE

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The house of the rising sun, The Animals.

SI L'ON OBSERVAIT CETTE SCÈNE d'un regard objectif, on aurait pu ressentir ce sentiment au creux de l'estomac; celui de la pitié. D'un point de vue subjectif, il devenait compassion. La frontière était minime entre ces deux sensations mais réelle.

Les garçons du dortoir étaient tous réveillés et leur attention était exclusivement absorbée par la catastrophe qui venait de survenir. Ils connaissaient les gardes, leur brutalité, leur intolérance. Ils savaient d'ors et déjà que ce qui venait d'arriver ne resterait pas impuni. Pas un seul n'aurait souhaité être à la place d'Elior, d'Achille ou de Thomas, mais, mentalement, ils étaient de leur côté et les soutenaient.

Un individu tiers qui serait témoin de cette scène saurait que cet accident allait impliquer des conséquences, mais ne pouvait en jauger la portée. Il ne connaîtrait pas les gardes aussi bien que les esclaves juvéniles. Il n'aurait pas connaissance des personnalités des trois fautifs.

Il ne pourrait que ressentir de la pitié car il ne pourrait même supposer ce que cela faisait de vivre en ce milieu, par pudeur. Il pourrait toujours se convaincre qu'il éprouvait de la compassion, mais cela n'était pas.

Comment ressentir de la compassion alors que l'on ne ressentait pas le besoin de se révolter contre le système en place? Que signifiait la tristesse, confrontée à la résignation face un gouvernement cruel et fragile? La solidarité avait-elle encore un sens si l'on préférait regarder son prochain s'éteindre plutôt que de quitter son confort?

La différence pour les travailleurs était que personne ne les regardait à cet instant. Ils se trouvaient six pieds sous terre. C'était leur habitat depuis plusieurs longues années. Les seuls qui connaissaient leur existence étaient cyniquement surnommés les mythomanes par quelque force rebelle. Il n'était inscrit nulle part ce qu'il était advenu d'eux tous, rien qui pouvait amener à se questionner à ce propos.

Qui, en ce matin de fin de printemps, aurait pu se douter de ce qui se déroulait sous ses pieds? Pas le moindre habitant du pays.

Ils étaient seuls, livrés en pâture au bon vouloir des autorités. Le travail commençait à un jeune âge. Des morts, il y en avait déjà eues dans les souterrains, or aucune de vieillesse parmi la nouvelle génération. Certains esclaves se retrouvaient corrompus, changés, blessés, brutalisés, violés. Il n'était pas rare que de l'alcool, des stupéfiants, de la contrebande filent entre les mains des travailleurs, mais c'était du côté des adultes. Les mineurs touchaient très peu à ces choses-là car les manières de s'en procurer n'étaient pas très nombreuses. Cela avait la plupart du temps un lien direct avec des rapports charnels imposés.

Bien que tous les adultes étaient au courant de ces pratiques, ils ne s'en formalisaient que très peu puisqu'ils estimaient que les personnes majeures savaient ce qu'elles faisaient. Qu'elles pouvaient refuser à tout moment car elles étaient matures et responsables.

Parallèlement, les adolescents n'avaient jamais entendu parler de ce type d'échanges. Ils n'avaient pas la tête à chercher à se servir de leurs attributs. Nombre d'entre eux étaient toujours vierges. Et puis, personne ne soupçonnerait que des adultes puissent abuser d'enfants.

C'était là que le problème résidait. Si personne ne l'avait envisagé, comment le problème aurait-il pu être réglé? Les bouteilles avaient été le début et la fin de quelque chose. Depuis le commencement. On pourrait dire qu'elles avaient été malfaisantes du tout au tout, mais, à cet instant, elles levèrent le voile sur la réalité du quotidien d'Achille.

Chaque élément s'imbriqua dans les esprits des jeunes hommes à la face ensommeillée. Tout particulièrement dans ceux des amis d'Achille. Les réactions du garçon, son comportement, ses expressions eurent un sens tout à coup. Il restait des questions, mais la bouteille en avait déjà révélé beaucoup.

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