37. HADE

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Persevere, Gang of youths.

SES JOUES N'ÉTAIENT PLUS QU'UNE MER, une mer où se noyaient son désespoir et son chagrin, et qui s'étendait comme s'étire l'océan, vaste et impétueux, dont le roulis évoque toute la peine humaine perpétuelle.

Sa peau noire, sur laquelle s'échouaient des vagues de larmes, se crispait sous la douleur, ses yeux se fermaient et souffraient de se rouvrir sur le corps froid de son ami. Une autre perte, effroyable, qui lui semblait l'incarnation de ses pires cauchemars. Hade avait déjà perdu Roan, plus d'une année auparavant, et un autre de ses frères lui était arraché injustement, encore une fois.

Autrefois, ils étaient quatre bambins, riant, courant entre les arbres de ce qui constituaient leur maison, jouant gaiement et innocemment. Ils étaient ignorants de la violence des humains, et des hommes, surtout, qui eurent tôt fait de les assujettir de leurs mains sales et perverties.

Ils les avaient réduits en esclavage, les avaient insultés, frappés, chosifiés. Ils en étaient meurtris et infestés jusqu'à la moelle, mais ils étaient en vie et continuaient de lutter, espérant entrevoir une lumière. Le premier drame était survenu, qui les avait d'autant plus fissurés. Ils n'étaient plus au complet, un vide immense occupa leurs vies et leurs cœurs.

Il ne leur restait plus que son prénom, léger, sauvage, comme une incitation au défi constant avec la vie. Et les souvenirs de ses cheveux blonds comme le blé, de ses yeux d'un vert intense et vivant, de ses pommettes enfantines et de son nez fin, de sa bouche et de ses sourires qui réchauffaient les âmes, de son menton comme sculpté dans le marbre d'une peau dorée, parsemée de petites cicatrices.

Roan était un cœur empli de gaieté, d'optimisme et d'amour, qui tendait la main autant qu'il serrait le poing lorsque la justice avait déserté l'instant. Tout le monde l'avait aimé, lui qui rayonnait, qui unissait. Avec sa mort s'était éteint l'espoir, qui ne jouissait plus de l'oxygène dont le nourrissait Roan. Le garçon avait le cœur trop bon, trop confiant pour le monde brutal dans lequel il vivait, mais il s'était éteint en laissant une marque immortelle: son souvenir.

Il errait dans les souterrains, éclairait d'une lueur les iris de ceux dont il animait l'esprit pour quelques secondes, avant que la tristesse de sa perte ne l'éloigne. Son souvenir avait grandi en Elior, qui l'admirait de tout son être, qui le voyait en divin, et se griffait le cœur en essayant de lui ressembler plutôt que de s'aimer tel qu'il était. Elior appréciait aider les autres, il était généreux, aimant, soucieux, mais, à l'inverse de Roan, ses actes n'étaient pas désintéressés — du moins inconsciemment.

Ce n'était pas un vice que d'accorder une grande importance aux regards de l'autre. Elior prenait garde à ne pas renvoyer une mauvaise image de sa personne, il se protégeait tout en se souciant des autres. Roan, lui, se dévoilait avec aisance, il ne craignait pas l'autre, il ne prenait pas garde, il épousait la fougue et la naïveté. Elior préférait la prudence et l'ardeur modérée. Il n'était pas Roan, et, aussi fort qu'il l'espérait, il restera Elior.

Pourtant, c'était lui, l'adolescent aux cheveux roux, aux grands yeux noisette, au visage doux et accueillant, au nez romain, aux lèvres pleines, —qu'il mordillait à l'occasion —, et à la peau sur laquelle paraissaient par endroit des taches de rousseur, des pétales qui parsemaient jusqu'à ses bras pâles, à peine musclés. C'était lui qui s'était élancé, les jambes fatiguées, le cou marqué par les empreintes de doigts qui viraient au violacé, ses yeux encore rouges, comme sa peau, meurtrie par le manque d'oxygène et la peur panique de la mort.

Elior s'était jeté entre Achille et le garde dans l'encadrure de la porte. C'était lui, le garçon qui fut troué par une balle, qui fut le réceptacle de ce présent mortel qui ne lui était pas destiné. Il s'était sacrifié, il avait donné sa vie pour sauver celle de son frère, de son ami de toujours. Il avait estimé le poids de sa perte plus grande, plus incommensurable que de fermer ses yeux pour ne plus jamais les rouvrir.

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