22. HADE

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Titanium, Sia et David Guetta.

HADE VOYAIT LE MONDE À TRAVERS UN PRISME de perspectives, toutes plus contrastées les unes que les autres. Le monde n'était guère noir ou blanc, il était d'un gris de diverses intensités. Dans celui qu'il habitait, il aurait choisi l'une des teintes les plus sombres pour le représenter.

Déjà lorsqu'il était enfant, il s'était rendu compte de sa différence de couleur de peau vis-à-vis de ses amis et de leurs familles. Néanmoins, il voyait cela seulement comme les feuilles qui revêtent des manteaux rouges, verts ou encore jaunes — c'était dans l'ordre des choses et cela n'altérait en rien qui il était sous son physique.

Puis, il avait pénétré le monde plus civilisé, plus ordonné, surtout plus strict et rudimentaire. Le jeune garçon à la peau noire était considéré comme une tache dans cette société. Il n'avait pas tardé à se rendre compte que la couleur de la peau n'impliquait pas que l'apparence, mais aussi le statut, les droits et le jugement d'autrui sur sa personne. Être noir, ce n'était pas comme être blanc; c'était comme démarrer une course des mètres derrière les autres coureurs.

Hade ne connaissait pas les termes de racisme et suprématie blanche, car il n'avait guère eu d'exemples dans son ancienne vie de ce qu'ils signifiaient. Dorénavant, ils les vivaient chaque jour de son existence, les sentaient frémir sous sa peau, taper contre ses tempes, bourdonner dans ses oreilles et surtout lui entailler le cœur.

Chaque soir, lorsqu'il se couchait dans son lit, il songeait que chaque insulte, chaque acte ne l'avaient pas mis à terre et que ça pourrait en devenir supportable tant qu'il conservait la vie. Mais, chaque jour, lorsqu'il se prenait des brimades, il se rendait compte d'à quel point cela était douloureux et qu'il était impossible de s'y habituer. Comment se faire à une vie qui n'est pas voulue par ceux qui nous entourent? La chose s'aggravait encore lorsque la vie était niée par l'être qui la vivait lui-même.

Ce jour dernier, il avait de nouveau écopé d'un sobriquet moqueur et insultant envers sa couleur de peau ainsi que sa personne en elle-même. Hade n'avait pas réagi. Bien que cela le blessait durement, il avait appris à se construire un masque extérieur pour dissimuler sa souffrance. Il était hors de question de laisser croire à ses oppresseurs qu'ils avaient obtenu ce qu'ils cherchaient.

Pourtant, il n'avait fait qu'être là. Il n'avait qu'accompagné un ami blessé grièvement — Achille — jusqu'à la salle des gardes, accompagné d'Elior. Hade commençait à devenir de plus en plus épuisé d'essuyer maintes remarques et insultes sur un élément de son être qu'il n'avait par ailleurs pas décidé.

Ironiquement, s'il avait plus ou moins la paix auprès de ses camarades de galère, c'était presque uniquement parce qu'il était un ami proche d'Elior. Il était épargné grâce à son amitié avec un garçon blanc. Hade avait beau apprécié avec la plus grande tendresse son ami d'enfance, il trouvait insupportable l'idée de ne pouvoir vivre que sous la protection d'un homme blanc.

Il avait pendant longtemps pensé à propos de sa vie sans Elior à ses côtés. Il se persuadait qu'il pourrait instaurer un respect mutuel avec les autres adolescents, et qu'il pourrait se mouvoir comme il le voulait sans risquer de frôler le gouffre.

Tous ces songes finirent par devenir réalité lorsque le soir du dimanche tumultueux, Elior ne revint pas — pourtant, Hade ne prit pas dans l'immédiat conscience de la gravité de la situation.

Par chance, les travailleurs juvéniles n'avaient rien remarqué ou, du moins, étaient trop épuisés par les événements de la journée pour mener la moindre action contre lui.

Cependant, Hade, lui, sentait la peur gronder dans son ventre, en accord avec le vicieux désir de vengeance et de défoulement qui se répandait parmi les adolescents aux yeux vides.

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