46. GABY

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Swan song, Dua Lipa.

L'ARBALÈTE LÉTALE paraissait bien trop lourde entre ses mains malhabiles. Gabrielle ne s'en était jamais servie auparavant, puisqu'elle n'en avait guère eu besoin — hormis une arme relativement inoffensive lors de l'opération du mardi. À son époque, la guerre, les armes, les massacres n'étaient que des concepts abstraits qui n'étaient plus dans leurs existences, qui avaient été effacés au même titre que les communications avec des hypothétiques — en effet, ils n'en avaient aucune nouvelle — pays voisins à la France.

Gaby avait tout de même serré les dents et avait accepté l'arme sans broncher. L'heure n'était pas aux sentiments, mais à l'action. Elle ne savait si les flèches avaient atteint quiconque lorsque son doigt enfonçait la gâchette, son arme dirigée vers des policiers et des gardes. Ses yeux étaient surtout brûlants d'excitation, suspendus aux battements vifs de son coeur. L'adrénaline, mêlée à l'horreur engendrée par les corps chutant autour de la jeune fille, courait dans ses veines.

L'adolescente se trouvait dissimulée dans le renfoncement d'une poutre, formée telle une extension au mur, à l'intérieur de l'une des boutiques le long du couloir latéral gauche qui longeait le grand cube de vide. Elle y avait couru, ainsi que quelques autres rebelles de son âge, dès que l'alerte avait été lancée.

Néanmoins, les policiers approchaient et abattaient les Éternels les plus récalcitrants, ne conservant presque toujours que les plus jeunes, ce qui ne rassurait pas Gaby. À quoi allaient-ils leur servir? Comptaient-ils faire d'eux des esclaves, et les envoyer travailler à l'extraction du caelisya dans les sous-sols?

Elle était déjà parvenue à tuer deux policiers qui se trouvaient à une dizaine de mètres de sa cachette. Or, ils arrivaient toujours plus nombreux, comme une vague incontrôlable qui ne cesserait qu'après avoir commis mille ravages. Auprès d'elle, ne restaient plus que trois rebelles — deux femmes et un homme —, car le quatrième s'était élancé au dehors avec pour projet de prêter main forte aux Éternels au coeur du combat. Gaby avait observé peu de temps après la chute de son corps sur le sol, raide et froid.

Peu de représentants de l'autorité semblaient en réalité se diriger dans leur direction, ils préféraient se concentrer dans le hall et dans les boutiques attenantes, là où se trouvait la plupart des rebelles. Des coups de feu résonnaient sans interruption, et Gaby se tendait de plus en plus: elle espérait que la majorité était l'oeuvre des Éternels.

Le songe angoissant de découvrir un visage connu parmi les morts la prenait quelques fois. Elle n'avait pas de réels amis en ces lieux, mais les noms de Diane, Laïa et Hade flottaient dans sa tête. Ils étaient les trois dont elle se souciait réellement, dont la simple idée de les voir morts lui coupait le souffle.

— Les déflagrations s'atténuent, j'ai l'impression, remarqua le jeune homme aux cheveux gris.

— Ce n'est pas bon signe. Je ne crois pas que nous puissions leur échapper, ils doivent avoir fait tellement de morts et de blessés que les autres ont commencé à capituler..., supposa une des deux jeunes femmes, aux cheveux bleus et aux yeux bruns.

— Je suis presque certain que tout ça, c'est l'oeuvre d'une trahison. Une taupe ou un traître se trouvait parmi nous, c'est certain. Mais regardez ce carnage!

Gabrielle, silencieuse, jeta un oeil à travers la vitre sale de la boutique. Son pied se posa sur un tissu déchiré sur le parquet poussiéreux. À l'extérieur, des corps jonchaient le sol à travers l'ensemble du hall, des corps éteints, des corps en sang dont on n'aurait pu dire s'ils appartenaient à des personnes toujours vivantes.

La jeune fille déglutit et repensa aux mots de l'adolescent. Une trahison. Qui aurait pu faire une telle chose? Il lui paraissait que les Éternels étaient tant dissimulés et secrets qu'il fallait du temps pour les rejoindre; alors qui se fatiguerait à les trouver, parvenir à intégrer leurs rangs, pour finalement n'être qu'un traître?

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