oo. ÉPILOGUE

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The War, SYML.

LES JOURS S'ÉGRENAIENT, COMME DES GOUTTES de sang d'une main mutilée. Ils filaient, lentement et rapidement, ennuyants et éprouvants, tout dépendait du point de vue.

Mes jours à moi furent écourtés de longs mois dans le passé, à moins que cela ne fasse des années. Le temps s'écoule différemment lorsque les battements de notre cœur ne rythment plus notre existence. Ma fin fut douloureuse, interminable, intenable. Mon sang pulsait sous ma peau blême, où fleurissaient çà et là des plantes aux corolles bleues, violettes et même vertes. Des filets écarlates coulaient sur mon visage, trempaient mes joues comme une chute d'eau le ferait sur une falaise escarpée.

J'étais aveuglé, mais mes sens étaient en alerte. Mon ouïe était exacerbée, je pouvais entendre tout si nettement : le bruit des coups, de mes os qui craquaient, les cris rauques de celui qui me tuait à petit feu, et le silence. Le silence de ceux autour de nous. Je ne les voyais pas, certes, mais je les savais présents. Néanmoins, aurais-je agi à leur place ? Me serais-je opposé à ce garde dément et déchaîné ? Ma bravoure imbue d'elle-même pensait positivement, mais ma raison niait cette prise de parti.

Je sentais mieux également. Le sang a une odeur métallique écœurante et enivrante, et mon sang n'échappait pas à la règle. Le liquide me coulait des narines, les senteurs étaient fortes — des relents puissants qui me donnaient mal à la tête. Dans ma bouche aussi, il y avait du sang, et sur mes dents, à la place de mes dents disparues. L'écarlate était partout, à cet instant.

La souffrance perdait en intensité au fil des secondes : ne restait plus que cette obsession entêtante, celle de ce sang, des constellations colorées sur mon corps, de son intérieur cassé, de son aspect tabassé. À quoi ressemblais-je ? Je n'étais pas beau à voir lorsque le garde s'arrêta enfin.

Je respirais encore, mais très faiblement ; il ne me restait plus que quelques minutes. J'étais mort doucement, moi, Roan, comme lorsque l'on s'endormait, sans même s'en rendre compte. Mes cheveux blonds étaient plus décoiffés qu'ils ne l'avaient jamais été, et arrachés par endroits. Mes habits étaient maculés de cramoisie, sinon déchirés par la roche. Mes ongles étaient cassés, mais j'avais griffé au sang le garde dans ses bras gras, qui narguaient mes membres frêles.

Nous les haïssions pour cela. Ils mangeaient de la vraie nourriture, pas les espèces de galettes étranges qui nous étaient servies. Ils grossissaient naturellement — certainement moins qu'une personne à la surface, puisqu'ils manquaient de soleil pour les sublimer —, mais ils paraissaient toujours plus sains que nous autres.

Depuis que je suis parti, tout avait changé dans les souterrains. J'ai tout vu, impuissant spectateur, semeur de troubles et de vices. Je suis mort loin de mon frère de sang, comment cela avait-il pu arriver ? S'il m'était proposé de mourir paisiblement loin d'Achille ou atrocement avec lui à mon chevet, j'aurais sans hésiter opté pour le second choix. J'avais autrefois pensé que je veillerais toujours sur ce garçon aux cheveux corbeau et que son visage serait le dernier que je verrais. Sa figure était gravée dans mon esprit, pour l'éternité.

Il me manquait. Lui et son étonnante perspicacité, ses silences éloquents, sa sagesse précoce. Les autres garçons ne l'aimaient pas, parce qu'il leur semblait froid, fermé, apathique, mais c'était simplement qu'Achille ne fonctionnait pas comme nous. Il n'avait pas besoin d'exprimer ses sentiments, de se confier, il ne ressentait pas le besoin de se lier d'amitié avec quiconque, nous trois lui suffisions amplement. Achille ne cherchait pas les autres, il n'avait pas besoin d'autant de compagnie qu'Elior ou que moi, il vivait dans son propre monde, tout comme Hade.

Je les ai vus tous les trois endurer les pires souffrances. Mon frère fut ensorcelé par l'alcool, puis les gardes profitèrent de cette faiblesse en lui pour le violer. Ma colère aurait pu embraser les cieux, mais je ne pouvais rien faire. J'ai observé Achille devenir gris, de plus en plus, au fur et à mesure que les mois passaient. Il n'avait pas fait son deuil de ma disparition, c'était l'élément précurseur de cette dégradation, j'en avais tristement conscience. J'aurais aimé lui envoyer un signe de mon amour pour lui, mais il était trop tard pour lui. La vie l'avait trop bousillé pour qu'il puisse sourire à nouveau, comme avec moi.

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