Mythomania

27. ESTIA

Elizabeth Taylor, Clare Maguire.

LA JEUNE FEMME PROGRESSAIT à travers le musée à la suite de sa classe, écoutant l'exposé du guide. Or, Estia n'était pas concentrée, elle n'aurait pu dire ce que représentait ce tableau ou de quoi traitait ce texte. Ses pensées ne cessaient de revenir à Laïa et à ce mystérieux papier. Quoi qu'il puisse signifier, il ne pouvait être anodin.

Dans l'angle mort de son professeur, l'adolescente prit dans ses mains le papier qu'on avait glissé dans sa poche dans la matinée. Elle le relut, à plusieurs reprises. Selon les mots qui y étaient inscrits, un nouveau programme pour former une élite propre à construire le monde de demain avait été pensée. Un certain nombre d'adolescents de chaque zone de France y auraient été conviés, basés sur leurs résultats, leur intérêt pour leur pays et l'Histoire, pour leur potentiel, leur singularité.

Par ailleurs, chaque papier était personnel car il était envoyé à la jeune personne en particulier, avec son nom apposé sur le devant. La réunion d'informations se déroulait ce jour même, à une ville proche d'Arlet, à huis clos, et l'on ne pouvait s'y soustraire. Par ailleurs, si l'on acceptait de suivre le programme, démarrerait alors un stage soutenu quasi immédiat.

Un mot avait été écrit à la main sur un bout de papier ajouté à l'invitation, de ce qui devait être de l'écriture de Laïa, bien qu'Estia doutait fortement du bien-fondé de cette idée. Son amie lui aurait passé ce papier en mains propres, lui aurait appris de sa bouche ce qu'elle comptait faire, et n'aurait encore moins semblé n'être au courant de rien.

Estia relut l'inscription une nouvelle fois, il disait ceci:

Estia, j'ai été conviée à cette réunion, qui se déroule aujourd'hui. Je m'en veux beaucoup de ce que je dois faire, mais il faut que j'y aille, cela ne peut être autrement. Tu es pour l'instant la seule au courant, car je compte m'éclipser pour y aller. Je n'ai pas prévenu mes parents qui en auraient fait tout un plat, qui auraient appelé les responsables pour à tous les coups décliner l'offre. Je n'ai de fait pas informé les profs de mon absence future car ils auraient appelé aussitôt mes parents. Cependant, comme ils auront vite fait de se rendre compte que je suis partie, je te passe l'invit' pour que tu leur montres et que tu leur expliques tout ce que je viens de t'apprendre. Je suis désolée de te laisser et de partir comme une voleuse, mais c'est une opportunité nouvelle, un moyen pour moi, peut-être, d'échapper au quotidien étouffant et étriqué que je ne veux pas endurer. C'est l'occasion que j'attendais.

Estia savait que c'était faux, un coup monté que Laïa n'avait certainement pas orchestré. Mais que pouvait-elle faire d'autre, pour protéger son amie, que de suivre ces ordres qu'on lui avait distribués? L'adolescente redoutait de faire un pas de travers et de mettre Laïa en mauvaise position. Elle préférait tirer cette situation au clair par elle-même.

La pensée que son amie venait peut-être de se faire elle aussi enlever la glaçait; elle aurait affaire à un kidnappeur ou une kidnappeuse en série, et était probablement la prochaine sur la liste si elle devait s'allonger davantage.

Et si c'était autre chose? Si la disparition de Phoebe n'avait aucun lien avec le départ de Laïa? Alors, la jeune fille était peut-être réellement conviée à cette réunion, et Phoebe avait été ciblée et enlevée. Elle ne savait si cela était mieux. Au moins, en cas d'enlèvements en série, elle aurait pu prévenir les autorités, elle aurait pu tenter de maîtriser le malfaiteur s'il venait à s'en prendre à elle car elle s'y serait préparée.

Cependant, Estia savait au fond d'elle qu'elle était loin de la vérité. Quel kidnappeur déposerait un tel papier dans sa poche avec un message d'une écriture ressemblant autant à celle d'une jeune fille, qu'il comptait par ailleurs enlever dans un musée, à la vue de tous? Lequel irait kidnapper une jeune fille au cœur d'une soirée, sans que personne ne le remarque?