30. ARTHUR

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Glory and gore, Lorde.

AUJOURD'HUI ÉTAIT UN AUTRE JOUR, mais Arthur conservait en travers de la gorge l'altercation de la veille, du moins son issue. Il fulminait d'avoir été humilié, diminué par Thomas. Il sortait de nulle part, après n'avoir pas donné signe de vie depuis près de deux jours et il reparaissait pour démonter ses plans.

Il avait changé, il était pour la cause des trois marginaux, était devenu ami avec eux et, à présent, il se liguait même contre Arthur et les autres en leur nom. L'adolescent ne pouvait pas le supporter; pourquoi était-il tombé de leur côté? Il n'était pas question qu'il le laisse se substituer à Elior et qu'il gâche ses perspectives d'avenir.

Ils avaient mis à bas Hade, l'avaient menacé et battu assez pour qu'il se tienne à l'écart. Elior et Achille étaient provisoirement écartés, tout comme l'était Thomas avant qu'il ne revienne. Cela signifiait donc que les deux autres pouvaient revenir, quoi que les causes de leurs départs demeurassent floues dans son esprit. Il avait perçu l'écho d'un passage à tabac dirigé par Samuel envers Achille, mais nulle trace du rouquin.

Arthur se retourna sur le dos sur sa couchette. Il n'avait pas cessé de penser et ne saurait dire s'il avait même dormi plus de trois heures. Le temps filait à une allure différente lorsque l'on fuyait le sommeil et qu'il ne nous cherchait pas lui-même; les repères manquaient et c'était alors comme un moment suspendu, en osmose avec l'obscurité et le silence de la nuit, dans le pays de la lune où les éveillés sont des rois.

La furie de la journée, les bruits, la lumière s'évanouissaient et seul un faible halo demeurait, celui de l'esprit, par lequel se fait la déduction de la disposition de chaque corps et de chaque lit dans la pièce. Le noir avait avalé l'espace, mais la raison avait débuté sa reconstitution dans les méandres de la nuit. C'était un long chemin que de replacer ses souvenirs dans son environnement, de se visualiser les couleurs, les mots, les actes survenus dans le passé et de les apposer à cette réalité endormie et aveugle.

Lorsque cette étape était passée, que les yeux avaient percé l'obscurité, les pensées affluaient dans la tête, elles venaient, nombreuses et joueuses. Qu'elles remémorent des moments de la journée, des paroles prononcées, des regards, des sensations, elles prenaient toute la place, trahissaient l'activité complexe de l'esprit qui ne faisait que ralentir le jour. L'on pense trop quand la seule chose qui s'offre à nos sens est nous-mêmes. Nous devenons notre objet de réflexion, tout est question à introspection, à interrogation, à angoisse.

Arthur, cette nuit-là, se souvenait avec fierté des heures précédentes, il se délectait de cette supériorité qu'il avait ressentie, de la puissance, de la force, de la crainte qu'il inspirait. Il s'était senti invincible, le chef incontesté, tyrannique - certes -, mais non moins un chef. La sensation de ses poings à vif, frappant la peau brûlante de l'autre, la douce douleur des phalanges meurtries, cette euphorie infinie lui avait manqué.

Il ne saurait dire pour quelle raison il appréciait ces effets brutaux, mais ils lui procuraient l'impression de vivre vraiment, de ressentir toute la cruauté, l'authenticité, la pureté de la vie au creux de ses doigts. Il tenait alors le monde entre ses mains striées de rouge et tachées du labeur. Et seulement alors, il vivait.

L'alarme résonna soudainement dans tout le dortoir, en même temps que les lumières s'allumèrent toutes complétement. Comme chaque matin, des injures volèrent, d'adolescents tirés de leur sommeil. Arthur, lui, était déjà sur le qui-vive.

Ce jour était l'après, et il pressentait qu'ils vivaient eux aussi leurs jours glorieux. La note finale s'élèverait ce jour, mais Arthur ne savait à quel moment exactement.

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